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11 novembre 2015

In Memoriam

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Souvenirs…

Un gamin, parmi d’autres gamins, devant le monument aux morts.

Combien de noms gravés ?

Je ne m’en souviens pas.

Ce dont je me souviens, c’est de « La Marseillaise » qu’entonnait le chœur des gamins, sous la houlette de l’instituteur.

La martiale musique répétée sous le préau de l’école durant les jours qui précédaient le 11 novembre.

Par tous les temps.

A cette date-là, l’hiver avait déjà pris ses quartiers au pays d’Ardenne.

Un pays de gens mutiques.

Et pour cause : ce pays-là fut occupé par la soldatesque du Kaiser durant la quasi-totalité de la Première Guerre Mondiale.

Les gens de là-haut ne se souvenaient que de l’exode vers la Vendée juste avant l’irruption des troupes ennemies pour ceux qui furent les plus chanceux et donc de cette occupation pour tous les autres, une occupation dont quelques-uns évoquaient parfois la brutalité, assortie des humiliations.

Je n’entends pas mon grand-père Edouard parler de ces quatre années-là.

Où était-il ?

Que faisait-il ?

Je n’éluciderai jamais le mystère.

Mais j’entends toujours la voix de l’instituteur qui m’enseigna tout ce qui me fut nécessaire pour réussir le concours d’entrée en sixième.

Je revois sa haute silhouette perchée sur l’estrade, là où devant le regard ébahi des gamins, il racontait sa guerre.

Les tranchées, le fracas des bombes, la mitraille, la faim, le froid, l’amoncellement des cadavres, français et allemands entremêlés.

Des récits qui peut-être n’exaltaient pas l’héroïsme des combattants français (il me fallut attendre de lire Remarque pour comprendre que dans l’autre camp, l’héroïsme avait également été exalté jusqu’à un point subliminal), mais dont j’ai la certitude qu’ils mettaient l’accent sur l’infinie souffrance des survivants, jeunes hommes d’à peine plus de vingt ans.

Des jeunes gens, allemands autant que français, dont je ne parviens toujours pas à comprendre ce que la phraséologie officielle continue à englober en un seul vocable, le « sacrifice ».

Ô certes, ces jeunes gens-là, français comme allemands, « finissaient en débutant », puisqu’ils n’étaient que de la piétaille, de la chair à canons, des victimes consentantes offertes à la Mort par les Canailles que la République érigea en Héros.

Dont un certain Philippe Pétain.

L’horreur absolue.

La boucherie infernale.
Puisque ces jeunes gens-là vécurent l’Enfer.

Celui que leur imposèrent les Puissants d’alors si peu différents des Puissants d’aujourd’hui.

J’entrouvris les portes de cet Enfer lorsque j’atteignis à l’âge d’homme.

Avec le concours de Remarque, de Barbusse, de Dorgelès.

Avec celui de Jean Giono dont je ne cesse de relire des pages du roman « Le grand troupeau ».

« Les morts bougeaient. Les nerfs se tendaient dans la raideur des chairs pourries et un bras se levait lentement dans l’aube. Il restait là, dressant vers le ciel sa main noire toute épanouie ; les ventres trop gonflés éclataient et l’homme se tordait dans la terre, tremblant de toutes ses ficelles relâchées. Il reprenait une parcelle de vie. Il ondulait des épaules comme dans une marche d’avant quand sa femme le reconnaissait au milieu des autres, à sa façon de marcher. Et les rats s’en allaient de lui. Mais, ça n’était plus son esprit de vie qui faisait onduler ses épaules, seulement la mécanique de la mort, et au bout d’un peu, il retombait immobile dans la boue. Alors les rats revenaient.

La terre même s’essayait à des gestes moins lents avec sa grande pâture de fumier. Elle palpitait comme un lait qui va bouillir. Le monde, trop engraissé de chair et de sang, haletait dans sa grande force. Au milieu des grosses vagues du bouleversement, une vague vivante se gonflait ; puis, l’apostume se fendait comme une croûte de pain. Cela venait de ces poches où tant d’hommes étaient enfouis. La pâte de chair, de drap, de cuir, de sang et d’os levait. La force de la pourriture faisait éclater l’écorce. Et les mères corbeaux claquaient du bec avec inquiétude dans les nids de draps verts et bleus, et les rats dressaient les oreilles dans leurs trous achaudis de cheveux et de barbes d’hommes. De grosses boules de vers gras et blancs roulaient dans l’éboulement des talus. »

Je n’ai définitivement retenu que cela : l’Enfer.

J’ai rayé de mon vocabulaire les mots qui en furent sa justification : nation, patrie.

J’abomine l’autre mot, celui de ceux qui se repurent des guerres et qui depuis lors ne cessent de s’en repaître : capitalisme.

 

Pace è Salute !

La Butte Rouge

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