COMEDIE (123)

Une brève anecdote.

Mercredi 14 août, sur le quai de la station Gare Saint Roch, aux environs de dix heures.

Une dame fort élégante agite le bras gauche en direction d’un véhicule de la police municipale.

Le véhicule s’arrête.

La dame fort élégante se penche vers le passager qui est, du moins je le suppose, un policier municipal.

La dame fort élégante parle.

Son bras droit, par-dessus le toit du véhicule, désigne une personne.

Une autre femme.

Dont l’élégance témoigne de ces origines qui font frémir d’indignation tant de français très moyens.

Que s’est-il passé entre ces deux femmes ?

Je l’ignore.

Une altercation peut-être ?

Qui ne fut pas trop violente puisque ses échos ne sont pas parvenus jusqu’au vieillard qui attend le tram depuis plusieurs minutes.

Qu’importe.

Le chauffeur du véhicule de la police municipale, policier lui aussi, sort illico la tête par la fenêtre du dit véhicule, tend un bras gauche vindicatif en direction de la pas ressemblante et profère des propos sans aucun doute peu amènes et porteurs de menaces « légitimement » républicaines.

Du moins, je le suppose.

L’arrivée simultanée de deux trams qui se croisent met prématurément un terme à cet étrange échange.

La dame fort élégante s’engage dans la rame que j’emprunte et composte juste avant moi sa carte d’abonnement.

Nos regards se croisent.

Il émerge du sien cette singulière satisfaction qui résulte de l’accomplissement du devoir.

Il émerge du mien, allez savoir pourquoi, une incompressible colère.

« Madame, en d’autres temps, vous auriez désigné avec la même allégresse une femme juive à ses bourreaux nazis. »

La dame fort élégante ne pipe mot.

Je narre cette anecdote car elle me paraît révélatrice des comportements aberrants qui sont le lot commun à tant de mes compatriotes à l’égard des Roms.

Des comportements qui n’émergent pas d’un quelconque néant.

Des comportements qui se nourrissent des discours proférés par ceux qui sont censés défendre les valeurs humanistes que préconise notre République.

Des discours qui suintent la xénophobie, qui reposent sur des affabulations, dont l’objectif non avoué est de nourrir le climat de peur de l’autre.

Sur ce terreau-là, de Nicolas l’Histrion à François le Débonnaire, rien n’a changé.

Tout est toujours aussi gluant, tout est toujours aussi glauque.

Soit donc fort peu républicain.