Corse

Les voix enrouées des vieillards qui veillent sur le respect des traditions jacobines, sur le mythe anachronique de la République « une et indivisible », ces voix se conjuguent dans un chœur qui regroupe quelques avatars du chevènementisme (dont le déclinant Leader lui-même), des exaltés arrimés à la droite pourtant si peu républicaine ainsi que les porte-voix de la Virago.

Etrange attelage, mais beaucoup moins cacophonique que les ingénus seraient en droit de l’imaginer !

Mais voici que ces ingénus se font à leur tour entendre, qu’ils greffent au chœur leurs voix de faussets et qu’ils interprètent, sans même réfléchir au sens des mots qu’ils emploient, une partition dont la platitude et la banalité me révulsent.

Voici que s’accumulent les scories, les lieux-communs, les contre-vérités, les affabulations et, pire encore, les mensonges et les falsifications.

Passe encore que le Vieux Lion Edenté de Belfort, le Cacochyme si fortement droitier qui règne sur Bordeaux et les sbires de la Virago s’insupportent de la victoire électorale des nationalistes/autonomistes/indépendantistes en Corse : cette clique partage une même conception de la République, Machinerie autoritaire, brutale, injuste, cynique.

Ces gens-là, maîtres de chœur, interprètent une partition qui ne me surprend pas.

Par contre, que des coglione de tout en bas des marches les accompagnent dans leurs éructations indignées, et je sens monter en moi une irrépressible colère.

D’abord parce qu’ils outragent le suffrage universel.

Et puis parce qu’ils font peu de cas de la liberté de chaque citoyen de choisir le système politique qui lui paraît le mieux lui convenir.

Enfin parce qu’ils ignorent que la Corse ne fut française que contrainte et forcée.

Oh certes, cette appartenance lui fut imposée dans des temps que des esprits bornés peuvent considérer comme immémoriaux.

Mais c’est bien une conquête coloniale que la France de Louis XV imposa à la Corse.

Or, toute conquête coloniale est par essence illégitime.

Chaque conquête coloniale induit en effet la domination du colonisateur sur le colonisé.

En dépit de toutes les simagrées politiciennes et par-delà les régimes successifs (monarchies, empires, républiques) les stigmates de la violence perdurent et s’inscrivent dans la mémoire collective.

N’en déplaise aux coglione, la Corse n’est pas la France.

La Corse est elle-même.

Tel est du moins mon ressenti, lequel résulte d’une longue fréquentation de la Corse et des corses.

Le 13 décembre, les électeurs insulaires ont choisi la rupture avec le vieux système clanique.

Ils ont exprimé leur désir tout autant que leur volonté de participer à l’émergence d’un autre cours de l’Histoire, d’une transformation des relations avec la Puissance dominante. 

Des femmes et des hommes libres rêvent d’une autre destinée.

Afin de donner consistance à leurs rêves, ils ont emprunté les chemins de la démocratie.

Il émerge peut-être en Corse un processus susceptible de revivifier la démocratie, de lui rendre sens.

Comme un trait d’union entre Paoli et celles et ceux auxquels les corses ont confié le 13 décembre la responsabilité de poursuivre l’écriture de l’Histoire de leur propre pays sans jamais ignorer que cette Histoire-là s’inscrit dans le vaste mouvement de celle des sociétés humaines.

Du particulier à l’universel.

Donc un élan susceptible de transcender un tel mouvement, de rendre du souffle et de la lisibilité à une action politique jusqu’alors engluée dans les conformismes et le renoncement.

Ce qu’il adviendra de la Corse, ce qu’il adviendra des corses, je l’ignore.

Les vieilles ganaches jacobines s’évertueront sans aucun doute à prendre leur revanche et à semer d’embûches le parcours de celles et ceux qui dirigent depuis quelques jours l’Assemblée territoriale.

Mais je me réjouis que la Corse se soit engagée dans la tentative de la construction de son possible à Elle.

Pace e Salute !