COMEDIE (29)

Jeudi 14 juillet.

Aux alentours de neuf heures trente, j'accède à la place de la Comédie au moment où les flonflonnades redoublent d'intensité.

Tarataboum tsointsoin!

Premières nausées.

Incapable d'ingérer les mesures les plus exaltées des musiques guerrières.

Celles qui sont sensées avoir conduit jusqu'au "sacrifice suprême" tant et tant de gamins de vingt ans.

L'impression de patauger dans des marécages de sang.

Celui des aïeux comme celui des gamins d'aujourd'hui.

La vue du sang me révulse.

Tarataboum tsointsoin!

Sous un soleil qui me flanque le vertige.

14 Juillet?

La République?

La République qui n'est pourtant pas réductible à la seule geste militaire.

Loin s'en faut.

Pour qui se souvient de la multitude des canailles antirépublicaines, des comploteurs, des putschistes, des félons.

La République?

Je ne puis lui greffer que de grands et généreux élans pacifistes.

Incompatibles avec ces sinistres tarataboum tsointsoin.

Incompatibles avec ces guerres qui se mènent aujourd'hui chez les impies dont les Tyrans furent les amis de nos Monarques successifs et de leurs Ministres.

La République?

Des musiques comme il s'en joue lors des festivals de l'été, ces festivals qui agrémentent et donnent du sens à notre quotidien.

Des musiques qui rapprochent les hommes.

Des musiques qui fassent naître le désir de vivre ensemble.

Des musiques qui soient les fantastiques vecteurs des plus exaltantes émotions.

Et non ces hideux tarataboum tsointsoin.

Je ne voterai pas pour Eva (ni pour aucun autre des prétendants).

Mais j'approuve le propos de cette femme.

Fut-elle, à mes yeux, infiniment trop conciliante avec ce fauteur majeur des guerres: le capitalisme.

Vingt ans d'avance!

Encore faudrait-il savoir sur qui et sur quoi?

Car, et tout de même, les béatificateurs vont bien vite en besogne!

Plus vite encore que les vaticancaneurs.

Encore que les deux clans aient peut-être de communs intérêts?

L'Immense Disparu ne confia-t-il pas sa Bienheureuse Dépouille aux bons soins des Tenanciers de l'Epicerie cathodique, apostolique et romaine?

Mais fi de ces viles considérations!

Je frémissouille: la Gazouillette consacre deux pleines pages à la naissance de l'association chargée d'entretenir le souvenir de Celui qui fut.

Une sorte de cadeau de baptême que l'hebdomadaire concède à quelques-uns de ses amis.

Que l'on m'entende bien: je suis prêt à rendre à César ce qui appartient à César.

Mais la surabondance dans les éloges publiés sur deux pleines pages présente tant d'analogies avec des formes anciennes du culte de la personnalité (non réductibles aux seules formes staliniennes...) que le propos en perd l'essentiel de sa crédibilité.

J'y reviendrai, puisqu'il est tout de même question d'un héritage qui me concerne (et qui concerne tous les citoyens, ville et région confondues).