Jabot
Un jour de grand vent. Un grand vent fripon. A vous retrousser le duvet qui protège des
intempéries le cloaque de Germaine. Germaine que j'héberge en raison du retour
inopinable des froidures et des absences de son Edouard qui argue de lointains
voyages. De solitaires errances qu'il justifie par le pressant besoin de trouver
une pitance devenue rare. Dont je dois cependant reconnaître qu'il s'en
revient toujours le jabot plein, le dit Edouard. Tout plein des victuailles dont se satisfont de nos
jours les goélands. Qui, désormais, ignorent tout de l'odeur de la
daurade Frêche..... Pardon: de la daurade fraîche...... Nous regardons vers de lointains horizons, Germaine
et moi. Des horizons coutumiers: l'Aigoual et le Ventoux,
plus que jamais enneigés, l'un et l'autre. Germaine attend, espère des jours
meilleurs. Elle a délaissé son tricot. Elle lit le Libre Midi. Tout le Libre Midi, sauf les avis de
décès. "Ils ont tenté d'empoisonner monsieur
Revol?" (Monsieur Revol? Le monsieur qui conjugue les
archaïsmes des élans révolutionnaires du siècle défunt et les inaccessibles
rêves de celui qui balbutie ses premiers égarements. Le lideur de la liste des
gauches en état de rénovation permanente.) "Eh oui, Germaine! Rien ne les arrête! Les ignobles
crapules! Sournoises et retorses. Elles ont profité d'un voyage à Mende du seul
candidat qui prenne le parti des Travailleurs pour lui inoculer un insidieux
poison!". Le regard de Germaine se tourne vers le Ventoux en
sa déclinable pente jusqu'à l'Orient. "Un mauvais coup de monsieur Georges, vous
croyez?" Germaine a l'hypothèse facile depuis que je lui ai
donné à lire ma collection complète des Maigret d'un certain
Simenon. "Non, Germaine: ces deux-là se rabobicheront dans
la nuit du 14 au 15 mars. Au nom de la Liberti, Liberti chérie. D'ailleurs, je
vais vous dire Germaine, il me semble inadéquat de chercher un assassin
potentiel du côté des prétendants." Un regard perplexe de Germaine sur le vol chaotique
d'une tourterelle. "Même pas monsieur Couderc?" Ma main gauche effleure l'aile droite de la
goélande. "Non, Germaine, ni ce faux derche, ni le Roitelet
de Palavas, son compère de l'autrefois.... enfin, non: son
compagnon....." Germaine insiste. "Alors, madame Hélène?" Je m'esclaffe. "Germaine! Je vais vous priver de vos lectures!
Vous imaginez, vous, Madame Hélène, qui prêta serment à Hippocrate, attenter à
la vie d'un homme qui a toujours pris le parti des Travailleurs? Vous n'êtes pas
sérieuse Germaine. Madame Hélène, à sa façon, prend elle aussi le parti des
Travailleurs. Je m'en vais vous imposer la lecture de la Gazouillette de cette
semaine." (Je fais ici référence à la Gazouillette de
Montpellier qui publie, dans son numéro de cette semaine, l'interview de Sainte
Hélène qui explique pourquoi et dans quelles conditions elle terrassera le
Dragon, avec le soutien de Roumégas de France, le flatulent
itinérant.) "Si vous le dites, André....." J'ai dit, Germaine! Le candidat qui toujours prit le parti des
Travailleurs a survécu à l'ignoble tentative d'empoisonnement qui relève des
méthodes dont usaient autrefois les bolcheviques lorsqu'ils cherchaient à
éliminer les adeptes de l'Evangile selon Saint Léon. L'Aigoual tressaille. Effet d'optique? Rien n'est stable. Et surtout pas le côté senestre de la
politique. Germaine feuillette les pages "cinéma" de la
Gazouillette. Son Edouard regagnera le nid conjugal à l'heure
crépusculaire. Le jabot plein de victuailles avariables. Je fredonne une bouzyguette à l'oreille de quelques
huîtres. Pace è Salute!