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Comédies
20 juillet 2015

Chroniques corses 2015 (5et 6)

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Jeudi 18 juin

 

Je n’ai lancé aucun appel.

Normal, je ne me suis pas exilé à Londres, je réside en Balagne où je m’alcoolise à un rythme soutenu censé m’effrayer mais dans un contexte à ce point fraternel que j’en retire moult satisfactions. Dont le privilège d’avoir été le témoin d’une scène digne des célébrissimes « Tontons flingueurs ». Au terme de nouvelles agapes nocturnes copieusement arrosées, Jean-François exhuma de sa réserve secrète deux bouteilles contenant et l’une et l’autre des liquides translucides d’apparence anodins. A ce point anodins qu’un pinzutu en séjour de courte durée s’empara de l’un des deux flacons et remplit, quasiment jusqu’à ras bord le verre d’un breuvage qu’il s’imagina être de l’eau. Sauf qu’en Balagne, lorsqu’il daigne intervenir, Jésus change l’eau en gnole. La première gorgée faillit bel et bien se solder par une étouffaison irrévocable pour le malheureux pinzutu, lequel, parmi une multitude de hoquets incontrôlables, parvint tout de même à faire remarquer à la joyeuse assemblée que cette eau-là, même pas bénite, était cependant dotée d’un caractère particulièrement exceptionnel. Le brave garçon, cheminot de son état, opéra ensuite un juste partage du breuvage parmi les quelques volontaires, les plus endurants des soiffards attablés sous la vigne qui ne se revendique d’aucune virginité. Quelques experts s’essayèrent même à déterminer les origines de la gnole. La reniflant plus que la humant. Trempant des lèvres timorées dans des verres qui, auparavant, avaient contenu du rosé (de Patrimonio). Puis formulant des hypothèses, saugrenues pour la plupart. Framboises ? Raisins ? Mûres ? Au terme de longs et contradictoires débats, ils en conclurent que ce qui dans vingt ou trente ans sera peut-être devenu un nectar fut confectionné avec des figues. Sûr ! Pour de la figue, c’était bien de la figue, élaborée selon des méthodes alambiquées, celles qui se transmettent de génération. Afin de faire bonne figure devant mes hôtes, je me livrai à une furtive et modeste dégustation du produit du terroir, dégustation au terme de laquelle je confirmai le diagnostic formulé par celles et ceux qui m’avaient précédé dans ce périlleux exercice. A l’heure de l’au-revoir. Alors que nous étions déjà projetés dans la journée du lendemain.  Au-revoir  que j’accompagnai à l’intention de Jean-François d’une suggestion : laisser vieillir la gnole vingt ou trente ans afin qu’elle dégageât en prenant tout son temps ses vertus subliminales. La gnole au délicieux arrière-goût de figues dont se régaleront nos enfants et nos petits-enfants, puisqu’il ne fait guère de doute que les convives de ce jour ne seront alors plus en mesure de l’apprécier à sa juste valeur (si tant est qu’ils aient survécu !).

Mon cerveau baigne dans l’alcool. Je le soumets à la curiosité des scientifiques. Je leur concède l’autorisation de le disséquer en long, en large et en travers. Amusé par avance de ce que sera leur désarroi (plus que leur incrédulité) : ce vieillard, pornocrate accompli, libre penseur éructif, anar récessif, ne disposait d’aucun des outils neuronaux qui, chez l’individu ordinaire plus communément appelé « intellectuel », n’ont d’autre fonction qu’une assistance permanente destinée à la formulation de la pensée.

La preuve ? Ce matin-même, je m’en fus tremper ma vieille carcasse dans cette eau dont la couleur turquoise émerveille Patrick. Une anse sableuse du côté d’Algajola. Une anse bordée de tamaris et de quelques chênes verts. Un banal constat : je sais encore nager. Plutôt mal et pas très longtemps. Brasse et crawl. Un miracle ? La vieille carcasse bouge encore. Contrariée cependant par de nouvelles agapes, dans l’enceinte d’une paillote typiquement corse. Agrémentées par d’émoustillantes conversations qui, par un fil invisible, reliaient Régine, Patrick et Nicole, lesquels ne me concédèrent que le rôle de Lou Ravi. Conscients peut-être de l’état avancé du délabrement de mon cerveau mais usant d’une générosité si rare de nos jours : feindre de ne pas remarquer les ultimes soubresauts du dépérissement du malheureux vieillard.

Ceci notifié, et au terme d’une sieste aussi paisible que réparatrice, je me suis attelé à la découverte de l’édition de ce jour de Morse Taquin. Point d’épuisement intellectuel. Je persiste : voilà un journal qui à l’instar de tant d’autres ne se lit pas mais se feuillette. Or mes doigts gardent encore suffisamment de dextérité pour que je ne perde qu’un minimum de temps dans l’approche du néant. Je n’ai, de fait, effectué qu’une brève escale à Prunella (-di-Fium’Orbu). A l’entrée de l’école communale. Donc dans la proximité des deux institutrices qui avaient préparé les bambins dont elles ont la charge à une interprétation du « Imagine » de John Lenon. Et cela en prévision de la fête qui marque la fin de l’année scolaire. Ces pédagogues, ces vraies pédagogues s’étaient autorisé à introduire une petite variante dans le texte de John : greffer quelques mots, dans un couplet ou un refrain, de chacune des langues pratiquées au sein des familles des enfants. Dont la langue arabe. Pas seulement l’arabe, mais aussi l’arabe. Une louable, une généreuse, une fraternelle intention que j’applaudis. Mais les bambins ne chanteront pas « Imagine » avec ces quelques mots d’autres langues, dont la langue arabe. La vermine puante du racisme exerça ses ravages. Quelques parents, si peu corsicains mais tellement franchouillards et marinasseux feignirent l’indignation. Des fachos en très proche devenir peinturlurèrent d’ignobles insultes sur les murs d’édifices publics. Certes, les autorités, ministérielle et académique, expriment leur soutien aux deux valeureuses enseignantes. Mais l’affaire elle-même est révélatrice du pourrissement qui affecte les comportements d’hommes et de femmes que je ne parviens plus à considérer comme « mes » concitoyens. Que je regarde d’un œil torve, comme je le ferais devant un tas d’immondices. Tout en ayant conscience que si elles et ils en sont arrivés à ce stade de l’infamie, c’est que les machineries politiques et médiatouilleuses font preuve d’une scandaleuse mansuétude à l’égard des porteurs du racisme, de tous les racismes. Et que celles et ceux qui depuis trois ans exercent le pouvoir ne sont plus en droit de s’exonérer de leurs responsabilités. Prunelli n’est pas à l’image de la Corse. Prunelli est à l’image de la France, celle de François, de Nicolas, de Manuel et de Marine.

 

 

 

« La commune de Prunelli-di-Fiumorbo est située au sud de la plaine orientale, sur la rive droite du fleuve Fiumorbo. C'est une commune de moyenne et basse altitude, adossée à la chaîne centrale à la hauteur de la Punta di a Capella, et s'étendant sur 10 kilomètres d'ouest en est jusqu'à la mer Tyrrhénienne.

Sa partie ouest couvre une butte élevée (583 mètres d'altitude) de 4 kilomètres sur 5 entre le torrent de Varagno au nord et le fleuve Abatesco au sud. C'est sur cette butte presque entièrement boisée qu'est installé le vieux village.

Le centre de la commune est une plaine en légère pente du nord-ouest vers le sud-est, d'altitude comprise entre 80 et 10 mètres. Là se regroupe la plus grande partie de la population dans un chapelet de hameaux répartis le long des routes, notamment l'axe est-ouest dit « route de la plaine ».

À l'est de la route nationale 198 s'étend une zone marécageuse progressivement asséchée mais encore peu exploitée. Elle se termine en bord de mer par une zone humide classée ZNIEFF entre les estuaires du Fiumorbo et de l'Abatesco (marais de Canna et étang de Gradugine, stagni di Gradughjine e d'a Canna, 207 ha)1.

Prunelli fait partie des 143 communes regroupées au sein du Parc naturel régional de Corse. »

(Source : Wikipedia)

 

Vendredi 19 juin

 

Une chouette hulottante berça mon sommeil.

Au Village, ils furent, voilà bien longtemps, mes premiers compagnons. Antoine et Huguette. Dont les portraits d’alors (avec ceux de François, le cadet de leurs deux fils) s’amoncellent parmi la multitude des clichés emmagasinés par le photographe que je ne fus jamais vraiment. Antoine rencontré ce matin, le berger ayant délaissé son troupeau de brebis pour se rendre à Calvi se faire ausculter par un urologue. De vieux à vieux, les délabrements des machineries corporelles se répondent. Quelques maux anecdotiques que les médicastres contiennent en recommandant le recours régulier à des pilules multicolores qui font d’abord et avant tout la fortune des actionnaires des laboratoires pharmaceutiques, lesquels n’œuvrent pas en faveur du Bien Public mais pour les profits que génère la vente des dites pilules.

Notre monarque revolvérise à coups de 49/3, une arme fatale à la représentation parlementaire sommée de réduire ses prérogatives au rôle insignifiant d’actrice jouant la « Vacuité Publique ». Les fantômes de la raie publique, étrons atrophiés en voie de desséchement définitif, m’incitent donc à rejeter toute participation à leurs pitreries prétendument démocratiques. Prétendument, car la démocratie n’est désormais plus rien d’autre qu’une farce. Une dérive qui n’est pas nouvelle : la preuve en fut administrée au début de siècle au lendemain du referendum sur le traité constitutionnel européen. Le refus par le Peuple français de ce traité, indéniablement majoritaire, fut annulé quelques années plus tard par un « contre-vote » indigne d’hommes et de femmes respectueux des décisions du Peuple Souverain.

Je ne participerai donc plus à aucune des farces assimilables à un jeu de dupes. D’autant plus que les humiliations infligées au Peuple Grec démontrent de la plus abominable des manières que les citoyens des nations dites démocratiques subissent de fait un système d’essence totalitaire. Les élus que désignent les peuples ne disposent que d’un droit : appliquer les politiques édictées par des castes d’affairistes qui ne disposent, elles, d’aucune légitimité démocratique. Me révulse, m’indigne cette brutalité à laquelle elles ont recours à l’encontre d’un pays qui fut victime de l’incurie, de la rapacité, de la veulerie qui caractérisent les prétendues élites dont il est avéré qu’elles ne font que fédérer des ramassis de larbins et de sbires. Le pire est désormais outrepassé : la prétendue démocratie n’a plus désormais d’autre fonction que d’investir les individus les mieux à même de renier leurs engagements et leurs promesses dès le lendemain de leur élection.

Je n’ai plus goût à tenter de trier le bon grain de l’ivraie, à déterminer qui pourrait être digne de ma confiance et qui ne mérite que mon mépris. J’ouïssais ce matin la Régente du FMI pérorer sur la question grecque. Son mâle propos sur « l’irresponsabilité » du gouvernement Tsipras suintait de cette haine que les Puissants ne dissimulent même plus à l’encontre de celles et ceux qui s’essaient à résister et à préserver leurs mandants de l’imminence de la catastrophe. Cette caste génère les conditions « objectives » de l’abomination. Par son intransigeance, par sa foi aveugle dans le dogme néolibéral, elle accule les peuples concernés au désespoir. Il ne lui est plus besoin, pour accomplir ses basses œuvres, de recourir à la soldatesque ou (et) aux bandes fascistes. Ni généraux ni colonels. Les parlements nationaux ne sont rien d’autre que des cours d’enregistrement de décisions prises à Bruxelles ou à New York.

L’extrême-droite prospère sur le terreau que nourrissent la lâcheté et le renoncement de la majorité des parlementaires. Les nationalismes renaissent de leurs cendres. Leur pourtant résistible ascension est d’ores et déjà une question centrale du débat politique. L’Europe d’Angela et de François reproduit les processus de désagrégation qui transformèrent, voilà à peine plus de vingt ans, la Yougoslavie, en un immense charnier. J’ignore comment et de quelle façon allumer les contrefeux les mieux à même de contenir l’incendie qui se propage. Sinon dans ma  (notre) capacité  à me (nous) réapproprier l’espace politique, tout l’espace politique, et donc d’enchanter ou de ré enchanter les mots clefs de ce que fut mon (notre) commun vocabulaire. Afin que le suffrage universel cesse d’être ce piège à cons dont nous sommes tous, citoyens de l’Europe, les victimes.

Il existe des journalistes qui, trop rarement, sauvent l’honneur de leur profession. C’est le cas d’une certaine Anne C. Chabanon qui, dans Morse Taquin, relate et analyse de belle manière l’affaire de Prunelli, celle-là même que j’évoquais hier. Tant il est vrai qu’il est devenu exceptionnel de lire des phrases qui osent dénoncer les idées reçues, qui contreviennent à cette vulgate, laquelle se nourrit du pire de ce que « fabriquent » les ennemis des libertés et de la démocratie. Dans ce monde de peurs irraisonnées, d’infantiles replis identitaires, cette dame a exprimé le peu du meilleur susceptible de réjouir celles et ceux qui ne se résignent pas, qui résistent face à la déferlante des haines. Je lui dois donc ce bref hommage. Tout comme je me dois, une fois encore, de saluer les deux institutrices de Prunelli qui, et parce qu’il s’agit là de leur mission essentielle, tentèrent d’insuffler à des bambins en phase de découverte de la vraie vie ce désir de fraternité que les Puissants s’évertuent à anéantir.

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