Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Comédies
10 mai 2020

J+55

J+55

Il pleut.

Une jolie pluie de fin de printemps, qui réjouit limaçons et escargots.

Et qui réveille les souvenirs, ceux de l’enfant qui s’enthousiasmait chaque fois que son Maître lui signifiait qu’il avait à recopier puis à apprendre une nouvelle récitation.

Car il aimait réciter, ce gamin-là.

Il aimait réciter quelques-uns des plus beaux poèmes de la langue française.

La Fontaine. Hugo. Paul Fort. Aragon. Prévert.

Prévert s’y entendait si bien en histoires d’escargot.

Et Juliette, sa grand-mère, y prenait au moins autant de plaisir que lui.

A bientôt septante et huit ans, les vers me reviennent sans qu’il me soit nécessaire de me tourner vers ma bibliothèque.

 

A l’enterrement d’une feuille morte
Deux escargots s’en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s’en vont dans le noir
Un très beau soir d’automne
Hélas quand ils arrivent
C’est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le cœur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L’autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C’est moi qui vous le dis
Ça noircit le blanc de l’œil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C’est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vraie chanson vivante
La chanson de l’été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C’est un très joli soir
Un joli soir d’été
Et les deux escargots
S’en retournent chez eux
Ils s’en vont très émus
Ils s’en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais là-haut dans le ciel
La lune veille sur eux.

 

C’est le poème de mon élargissement, de ma déconfinaison.

Un poème de circonstance.

Même si demain soir j’opterai pour le vin plutôt que pour la bière.

Mon premier soir d’homme presque rendu à sa liberté.

Presque, car je ne m’illusionne pas : le Grand Chef des Argousins a goûté à l’immonde plaisir de lancer ses chiens de garde aux trousses des Insoumis et il n’a nulle envie de renoncer à ce plaisir là.

Il scrute avenues et boulevards, routes départementales et chemins vicinaux.

C’est un drônatique, le Grand Chef des Argousins, qu’obsède la préservation de la sécurité des Puissants, ceux-là mêmes qui œuvrent avec une belle constance à l’insécurité des Humbles, des Sans Dents, des Illettrés.

Demain soir, devant l’alignement d’une douzaine de bouteilles de vins rouges, je prêcherai.

Non point dans le désert, puisqu’il pleut en ce manchedi 10 mai, que c’est donc jour de fête pour les hétéroclites peuplades de limaçons et d’escargots, pour tout ce qui vit de et pour la terre nourricière, arbres et plantes qui, hier encore, souffraient de la soif.

Mais pour la construction d’un monde de femmes et d’hommes libres et égaux.

Pour en finir avec la sujétion, l’obéissance servile aux obligations que nous inflige la caste des Puissants.

Pour le dépérissement puis l’anéantissement du capitalisme.

Pour la vraie Fraternité.

Pour la Vie.

 

Emmanuel, Edouard et tous leurs commensaux élargissent de quelques millimètres les barreaux de nos prisons respectives.

C’est un élargissement, une déconfination plus proches du sursis que de l’épanouissement dont je rêve.

C’est l’arbitraire qui se poursuit sous des formes à peine plus civilisées que celles qu’ils exercèrent durant près de deux mois.

N’oubliez jamais, vous qui me lisez, que ce n’est pas le coronavirus dont ils eurent peur, mais d’abord et avant tout de vous, de moi, Indociles et Insoumis.

Vous et moi qui sommes capables, au cours d’une nuit de printemps, de chanter en chœur et à tue-tête, la vraie chanson vivante, la chanson de l’été.

Trinquons.

Buvons.

Elargissons-nous de notre propre chef vers l’imminence de cet été.

Ni dieux ni maîtres.

Ni César ni Tribuns !

Vivons !

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Comédies
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité