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9 octobre 2020

Décataractérisation

gui

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Y’a pas photo, comme disait André Darrigade.

A quelques années de distance, j’ai expérimenté les pratiques chirurgicales telles qu’elles se pratiquent dans le secteur privé et dans le secteur public pour, dans l’un et l’autre cas, la décataractérisation, d’abord de l’œil droit puis, voilà tout juste une semaine, de l’œil gauche.

Certes, les résultats furent identiques quarante huit heures après l’intervention : j’y voyais mieux.

Ce qui est l’essentiel, me direz-vous.

Mais tout de même…

C’est que je n’eus pas droit dans chacun des deux établissements aux mêmes manifestations de la considération que le patient est en droit d’attendre du côté de ceux qui sont censés soigner ses maux.

Je résume.

 

Chez le privé qui s’affuble du nom d’un prétendu saint, dès les premiers instants le dit patient comprit qu’il n’était qu’un cochon de payant, fut-ce par le truchement de la Sécurité Sociale et de sa Mutuelle.

Ceux (plus que celles) qui en leurs vertes années avaient ânonné  devant leurs Maîtres le serment d’Hippocrate, ceux-là exigaient d’emblée, avant même d’avoir endossé blouse, gants et masque, le paiement de ce qu’ils appellent les dépassements d’honoraires.

Des sous, des sous, des sous !

Lorsque furent accomplies ces premières formalités, vous êtes accueilli dans l’enceinte des ateliers des réparations ordinaires par une infirmière acariâtre qui vous intime illico l’ordre de vous dévêtir puis d’endosser le déguisement qui devient votre unique parure.

A peine en avez-vous terminé que la dite infirmière s’empare de vos bras afin de les examiner.

A droite !  

Ne disposant pas de mon libre-arbitre, j’obtempérai.

La bientôt retraitée qui n’avait pas prononcé un seul mot qui fut susceptible de révéler en elle la survivance d’une part d’humanité palpa mes veines, me garrota le biceps puis enfonça dans la veine qui lui semblait la seule compatible avec l’accomplissement de sa mission un engin aux fonctions qui m’étaient alors inconnues.

Je n’eus pas eu le temps de reprendre mon souffle que deux fiers à bras s’emparèrent de ma personne et l’allongèrent sur une civière à roulettes que les deux spadassins poussèrent, dans un long couloir, vers le lieu où interviendrait l’éminent chirurgien chargé de réaliser les rectifications oculaires.

La cavalcade s’arrêta dans ce qui ressemble au hall d’une gare rurale à une heure de grande affluence.

Il y avait dans ce manège des analogies avec certaines images des Temps modernes de Chaplin.

Une cavalcade insensée.

Vous êtes ?

Je suis moi-même, né le 6 juin 1942, et décataractérisable de l’œil gauche.

Lui, il n’était que l’infirmier endormisseur, chargé de déverser dans l’œil concerné les gouttes qui rendraient celui-ci insensible aux douleurs que lui infligerait l’éminent praticien.

(L’endormisseur officiel qui eut l’outrecuidance de me taxer de 50 euros, montant usuel de ses dépassements d’honoraire, s’était transformé en fantôme rétribué tout de même par la Sécurité Sociale et par ma Mutuelle !)

L’éminent praticien s’extirpa, même pas ensanglanté, d’un atelier de mécanique oculaire d’où deux spadassins évacuèrent, sur un brancard, un patient à l’œil gauche confiné sous un pansement réalisé en toute hâte par une mécanicienne patentée.

J’arrive !

J’étais là, moi-même, poussé sur ma civière vers un autre atelier avant que d’être transféré sur la table dite des opérations (qui est aussi une table de multiplication des profits).

L’éminent praticien se pencha au-dessus de mon visage.

On y va ?

Allez-y !

L’horloge murale indiquait 9h49 lorsque le jovial homme vert commença son office ; elle indiqua 9h02 lorsque je fus basculé sur un brancard, lequel brancard, poussé par un spadassin, me ramena vers le placard à balais où étaient entreposés mes effets personnels.

L’acariâtre infirmière m’abandonna là durant quelques minutes avant que me préciser, d’un ton sec :

Vous pouvez y aller.

Je m’empressai d’y aller.

Si vite que dans ma hâte j’en oubliai qu’avait été greffée à mon bras droit une machinerie qui n’avait, me semble-t-il, servi à rien.

La machinerie fut éjectée à l’instant où je tentais de réajuster mon tee-shirt.

Les murs du placard à balai s’imprégnèrent de mon sang.

Mais les tiroirs-caisses avaient, eux, rempli leurs fonctions sous le haut patronage d’un saint vaticancaneur.

 

Y’a pas photo, comme disait André Darrigade.

Dans l’enceinte de l’hôpital public, l’accueil est débonnaire, voire même chaleureux.
Point de gorgones pour vous réclamer les chèques nécessaires à la survie de malheureux praticiens adeptes des plus luxueuses des berlines teutonnes.

La carte sécu et celle de la Mutuelle sont les seuls sésames que le patient ait à présenter.

Les formalités d’usage réalisées, une avenante infirmière me prend en charge et m’assiste lorsque j’essaie d’endosser mon déguisement.

Je suis ensuite installé dans un fauteuil au beau milieu d’une vaste salle lumineuse, là où l’avenante infirmière vient trois fois s’enquérir si l’attente ne m’était point trop longue et donc insupportable.

Puis, une dizaine de minutes plus tard, deux gaillards se présentent à moi.

Vous êtes ?

Je suis moi-même, né le 6 juin 1942.

On vous emmène ! C’est qui qui vous opère ? F ! Quelle chance vous avez !

Rituelle promenade dans les couloirs.

Les deux gaillards galèjent, saluent quelques collègues puis m’abandonnent face à l’endormisseuse qui s’intéresse illico à ma tension artérielle ainsi qu’à quelques autres détails que je m’interdis de connaître avant de commencer à désinfecter mon œil droit puis à y introduire les gouttes qui le rendront insensible.

Nous devisons, l’endormisseuse et moi, avant que je ne sois transféré dans la salle d’opération où officient F et un interne, en présence de trois ou quatre infirmières dont la sollicitude m’émeut.

L’intervention durera une bonne trentaine de minutes avant que les deux mêmes gaillards ne viennent récupérer ma vieille carcasse qu’ils vont alors conduire, étrange paradoxe, dans une salle de réveil.

Puisque je ne dors pas.

Mais qu’importe ! Deux ou trois personnes me manifestent une attention permanente.

Je ressens même une telle félicité que je finis par m’assoupir.

Une voix mélodieuse m’extrait de ma torpeur provisoire.

C’est bon, vous allez pouvoir y aller ?

Aller où ?

Dans la vaste salle lumineuse où j’avais été initialement accueilli et où l’avenante infirmière s’en revint vers moi.

Un petit-déjeuner ?

Café noir ; biscottes ; confiture d’abricots ; beurre.

(Modeste mais réconfortant plaisir qui m’avait été refusé dans l’établissement qui porte le nom du saint vaticancaneur…)

Puis, et pour conclure, les retrouvailles avec mes parures ordinaires, sans que je laissasse la moindre trace sanguinolente sur les murs du vestiaire propriété de l’établissement public.

 

Y’a pas photo, comme disait André Darrigade.

C’est une évidence.

Ce témoignage met en exergue ce qui différencie le service public du domaine privé.

(Ce qu’a révélé la « crise » du coronavirus, tant il est vrai que l’hôpital public assura dans des conditions particulièrement difficiles une mission que le « privé » s’avéra incapable de mener. Et pour cause. Sa seule raison d’être, c’est le fric et donc les profits dont se gavent ses « actionnaires »….)

Je salue celles et ceux qui contre vents et marées, face à la brutalité et la violence manifestées à leur encontre par le Monarque et ses reîtres, continuent à faire vivre ce service public, le seul qui soit en mesure d’assurer à chacun et à chacune le droit de préserver leur santé dans les meilleures conditions.

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