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Comédies
24 septembre 2020

Juliette

gréco

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Juliette…

Lorsque me fut annoncé ton décès, aux aurores de ce matin d’automne, va savoir pourquoi, mais j’ai tout de suite eu en tête ta superbe, ta bouleversante interprétation du J’arrive de Jacques Brel.

J’arrive j’arrive

Mais qu’est-ce que j’aurais bien aimé

Encore une fois prendre un amour

Comme on prend le train pour plus être seul

Pour être ailleurs pour être bien

J’ai pleuré.

Je pleure, Juliette.

Toutes ces belles années si vite évaporées.

(Je te tutoie, comme nous nous étions tutoyés, si simplement, sans chichis, une nuit d’hiver, à Montreuil - sous Bois - où tu venais de donner un concert dont j’étais l’organisateur, en 1968 ou en 1969.)

Tu es entrée si tôt dans ma vie.

A cause d’une autre Juliette, Juliette Collard (épouse Blanchemanche), ma si douce aïeule.

Je ne devais alors avoir guère plus de huit ans et voilà que tu lui offrais par le truchement de la TSF Les feuilles mortes, sa chanson, celle qu’elle fredonnait si souvent et en particulier les nuits de l’été, à la fin des dîners qui se prolongeaient, sous l’immense cerisier dont je croquais les fruits jusqu’à m’en rendre malade.

(Puisqu’elle chantait aussi Le temps des cerises, la chanson que tu ne chantais pas encore.)

En ce temps-là, Juliette chantait avec toi, Juliette.

Quand les dernières notes de l’accompagnement s’éteignaient, Juliette Collard se défaisait de ses lunettes avant d’en essuyer les verres avec la serviette qu’elle n’avait pas déplié de tout le repas.

Tu m’as conquis, Juliette, avec Les feuilles mortes fredonnées ou chantées au temps des cerises.

Je ne t’ai jamais quittée.

Toujours envoûté par ta voix, émerveillé par ta gestuelle.

Puisque je fus, chaque fois que je le pus, ton spectateur/auditeur.

A la fête de l’Huma.

Au TNP.

A l’Olympia.

A chacun de tes passages à la télévision.

Les 33 tours qui restituaient si bien ta voix.

Et donc cette nuit montreuilloise.

Ce moment inouï où, lorsque sortant de scène et te dirigeant vers le local qui te servait de loge, tu fus abordée par un pompier, lequel te sollicita afin d’obtenir un graffiti sur le bout de papier qu’il te tendait.

J’entends encore ton rire.

La scène fut si brève, si inattendue que bien des détails se sont effacés de ma mémoire.

Mais je revois avec une précision sidérante l’instant où tu t’emparas du casque du soldat du feu (sa présence et celle de ses collègues était alors obligatoire dans les salles de spectacle) et où tu lui signifias Je bois à votre santé.

Le casque se remplit du contenu d’une des bouteilles de champagne qui étaient destinées à te rendre hommage.

Tu bus une gorgée du vin qui sans aucun doute ne pétillait plus beaucoup puis tu tendis le casque au pompier qui t’imita aussitôt.

L’éclat de ton rire retentit peut-être encore, au lendemain de ton décès, dans l’espace sinistre qui te servit cette nuit-là de loge.

Voilà, Juliette.

Tu es arrivée.

Tu es arrivée au terme d’une belle vie.

Mon arrivée à moi est imminente, même si je ne suis pas pressé.

En l’attendant, et pour titiller mes souvenirs, au-delà des chansons que tu as gravé dans ma mémoire, je m’en irai trainer de temps à autre dans la rue où tu naquis voilà quatre vingt et treize ans, ici à Montpellier, dans un immeuble proche de l’aqueduc.

Je fus bouleversé le jour où me rendant à la convocation d’un arracheur de dents je découvris, rivée au mur d’entrée, la plaque de marbre qui informait le passant qu’ici était née, le 7 février 1927, une certaine Juliette Gréco, chanteuse et comédienne.

La boucle est bouclée.

Adieu, Juliette.

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