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2 septembre 2020

Exil 2020 3

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Dimanche 19 juillet

 

Aubade. Un clochinement guilleret sans doute destiné à convier les Vaticancaneurs à se repaître de la chair et du sang du Christ. Mangez ; buvez. Ceci est cela. Cela est ceci. Amen.

Le Struthof. Un camp érigé sur le flanc est de la montagne vosgienne en un pays qui n’était alors plus la France. Si tant qu’il y eut encore entre 1940 et 1944 une France. Les foules n’acclamaient-elles pas Pétain et ses sbires, sans jamais se soucier du Général aux bras si longs qui de temps à autre jacassait dans les micros d’une radio étrangère, celle de Londres où ce post-adolescent mal dégrossi jouait à rebâtir une armée qui ne s’engluât pas dans le déshonneur et la collaboration.

Un parking ombragé. Des berlines qui reflètent la curiosité de femmes et d’hommes européanisés. Des franchouillards aussi. Et quelques teutons. Un drapeau hongrois. Un drapeau danois. Un couple déguisé façon gothique. Les mandibules de la dame luttent pour contenir un dentier rétif au respect des convenances.

Quel message souhaitaient entendre ces visiteurs dont les bribes de phrases qu’ils murmuraient dans mon environnement reflétaient une évidente aculturation ? Celui de la fraternité, un mot dont il est parfois question sur les quelques panneaux installés dans la zone d’accueil ? J’en doute. Bien que ces gens-là aient choisi de s’arrêter là, en ce lieu destiné à entretenir la mémoire.

Le Struthof n’est ni Auschwitz ni Buchenwald. Le Struthof est un camp à la ressemblance de celui qu’Anna Seghers décrit dans « La septième croix », le lieu sinistre de l’enfermement de combattants de l’ombre, de résistants dont l’exceptionnel courage et la grandeur d’âme les conduisit à affronter les barbares. Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines. Les maquis. L’amorce de la reconquête de la dignité humaine. Demain l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes. Enclos derrière les barbelés, ils résistaient encore. Bien que les nazis aient entrepris tout ce qui était en leur pouvoir pour les réduire à l’état d’ilotes. L’humiliation. Les tortures. Des cadavres en devenir dont le passage par les crématoire fut l’ultime étape d’une existence abrégée.

Ces lieux de la mémoire m’angoissent toujours. Soixante quinze après l’écrasement du nazisme. Une angoisse tout autant animale qu’intellectuelle. Il me fallut, voilà trois ou quatre ans de cela, plusieurs semaines pour me délivrer des cauchemars qui avaient peuplé mes nuits au lendemain de la visite du camp des Milles. Désormais, je me tiens à distance. Je m’enclos dans le silence. J’observe les visages, ceux des autres. Cela me suffit : l’angoisse m’étreint de nouveau.

Petits-enfants, arrières petits-enfants des adorateurs d’Hitler et de Pétain, porteurs à l’insu de leur plein gré d’une mémoire qui s’effiloche, tant il est vrai qu’il n’est désormais d’autre urgence que d’exalter cette amitié franco-allemande laquelle nourrit les discours conjoints d’Angela et d’Emmanuel. Alors qu’à l’arrière de chaque berline s’affichent les drapeaux qui signifient l’appartenance à des nationalités distinctes, celles qui s’incarnent aujourd’hui, en attendant pire ?, dans les enceintes sportives.

Dans la mémoire collective, le Struthof n’occupe guère plus de place que la cicatrice laissée par le rasoir sur le menton du maladroit. Alors que l’Histoire officielle efface, elle, les traces de l’accumulation des crimes. Le Struthof reste pourtant une plaie béante, qu’aucun remède ne sera jamais en mesure de refermer. D’une certaine façon, le sang des victimes continue à s’écouler. Rendu invisible derrière les phrases anodines qui s’écrivent dans les livres de l’Histoire officielle. Mais toujours bouillonnant. Sauf qu’il est incongru d’évoquer ces flots de sang, qu’il n’est rien de plus urgent que de feindre d’entretenir la flamme de la fraternité rédemptrice.

L’impérieuse nécessité de la Résistance ne s’est pas éteinte le 8 mai 1945. Elle reste le fondement du combat politique qui fut celui des morts du Struthof dont les cendres imprègnent une terre qui n’est toujours pas rendue à la paix.

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