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26 avril 2020

J+41

25 avril 3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J+41

Manchedi.

L’impitoyable déroulé des jours.

Au cours desquels, la confination rendant fou, la mémoire fluctue.

Au point d’accélérer le cours des événements.

Ce qui me fut reproché hier, quand je fis du samedi un manchedi dans une chroniquouillette qui survivra peut-être sans que soit corrigé mon égarement.

J+41

Manchedi.

Pour de vrai.

Un osso-buco de printemps.

Mange-tout, petits pois, jeunes courgettes, jeunes carottes, oignon de Lézignan-la-Cèbe, gousses d’ail frais…

Et le veau.

 

Manchedi.

Le lendemain du samedi.

Un 25 avril.

Date vrillée en ma mémoire ?

Grandola Vila morena

Lisbonne.

Les rives du Tage.

De jeunes militaires abîmés par les guerres coloniales : Angola, Mozambique…

De jeunes militaires qui signifièrent l’arrêt de mort du fascisme portugais à la clique arrimée du pouvoir.

Et rien d’autre que cela.

Il y a quelques années, j’écrivis un texte qui évoque le jour d’avril 1974.

Un jeune homme de 32 ans qui s’essaya alors à comprendre ce qui se passait dans les rues de Lisbonne.

Un jeune homme de 32 ans qui s’émerveilla en écoutant tant et tant de fois la chanson de Zeca Afonso.

Grandola Vila morena

 

Que laisse filtrer une mémoire indocile ?

Les effluves d’un matin de printemps, peut-être. Une lumière moins avaricieuse de ses effets ? Les trilles de quelques passereaux venus quêter du parc tout proche les miettes de mes festins matutinaux ?

Sur l’organisation de ces festins, il ne m’est pas besoin d’en appeler à ma mémoire. Depuis cinquante ans, je m’en tiens en effet au même et strict rituel. Le grand bol de café noir. Les tartines de pain grillé, nappées de confiture et de beurre. Aucune cohabitation possible entre les confitures et le beurre, aucun entremêlement des consistances. Les confitures en premier, puis le beurre pour conclure mes agapes.

Et la radio.

Le transistor d’alors.

Mis en marche quelques minutes avant la diffusion d’un bulletin d’informations. Celui de sept heures. Celui d’une radio de service public qui ne pouvait alors être que France-Inter.

Et donc ce matin-là, le matin du 25 avril 1974, les premiers mots prononcés par une voix qui ne pouvait être que masculine, un lambeau de phrase qui se donnait les apparences d’un titre et qui m’asséna à peu près ceci : « Coup d’état militaire au Portugal… »

D’autres titres suivirent qui ne me concernèrent alors pas, dont je ne me souviens évidemment pas.

Mon attention se concentra sur Lisbonne.

Les mots ont un sens.

Un coup d’état militaire ne pouvait se traduire dans ma tête, via mes références antérieures, que par un nouveau sursis accordé à la dictature fasciste qui fut initiée et conduite dès 1932 par Salazar.

L’Estado Novo.

Plus de quarante ans.

Survivant de tous les naufrages.

Vieillissant.

Finissant.

Mais toujours aux commandes.

Et donc en ce 25 avril 1974, l’armée à la rescousse.

Les blindés dans les rues de Lisbonne.

Des mecs, endurcis au cours des guerres que la vieille, l’anachronique puissance coloniale conduisait alors au Mozambique, en Angola.

Des mecs dont le boulot consistait à sauvegarder, contre ce que je me hasarde à appeler « l’irrépressible mouvement de l’Histoire », un Empire dont les richesses ne servaient à rien d’autre qu’à enrichir une oligarchie.

Une soldatesque, quoi !

Si ressemblante, si proche de la soldatesque qui, le 13 mai 1958, propulsa une seconde fois en France le Général aux bras si longs sur le devant de la scène.

Massu, Salan et consorts.

Nos tortionnaires bien à nous, absous par une République désentravée de toute morale.

Donc, Lisbonne, les blindés, la soldatesque.

Cela ne faisait aucun doute dans l’esprit du bolchevique exilé à quelques encablures de la forêt de Fontainebleau et destiné à reprendre son ascension au sein de la machinerie pilotée depuis peu par le camarade Georges.

Une grande gueule, Georges.

Mais ceci est une autre histoire, une autre musique, trois petites notes destinées peut-être à s’évaporer.

Très vite, dans l’ajustement idéologique, quelque chose se mit cependant à clocher.

Ces durs à cuir de militaires n’avaient pas désigné de leader proclamé, pas de futur Caudillo causant à la radio et à la télévision pour signifier au peuple portugais que l’Estado Novo serait désormais plus Novo que jamais.

Quelque chose donc d’incompréhensible.

Quelque chose d’étranger aux schémas familiers à l’esprit du bolchevique rentré depuis peu en grâce.

Dès lors, et chaque fois qu’il le put, il écouta les bulletins d’information que diffusait la radio de service public.

En ces années-là, la radio informait moins.
Elle accordait à l’auditeur le temps de la respiration, celui de la réflexion et de l’analyse.

Le Parti, lui, formula son opinion.

Via l’Huma.

L’Huma que le bolchevique revenant achetait puis décortiquait chaque matin.

Une opinion qui, dans ses premières formulations, le dérangea sans vraiment l’irriter.

Non, juste le sentiment que la réalité ne l’entendait peut-être pas tout à fait de cette oreille-là.

Celle du bureau politique et du camarade Georges.

Le lendemain, ou le surlendemain n’assista-t-on pas à des scènes incroyables : les militaires et le peuple portugais fraternisant dans les rues de Lisbonne.

Les uns marchant aux côtés des autres, des hommes en armes protégeant des civils, femmes, hommes et enfants, contre les ultimes soubresauts des seuls vrais fascistes survivants, les flics de la PIDE, les exécutants des basses œuvres du régime né de la volonté Salazar.

Ce furent des jours au cours desquels le bolchevique se procura, par des moyens légaux comme illégaux, toute la presse fréquentable.

Ce furent des jours au cours desquels il consentit à s’arrêter devant le téléviseur pour y suivre les journaux qu’il considérait pourtant relever plus de la propagande que de l’information.

Ce furent des jours d’un bouleversement émotionnel dont les traces survivent en lui.

Des œillets.

Des œillets rouges introduits dans les canons des armes de mort.

A n’en plus douter, le Portugal vivait sa Révolution.

Une Révolution que dans l’ombre toutes les pires canailles portugaises s’essayaient déjà à récupérer.

A l’exception notable de ceux qui en furent les acteurs majeurs.

De jeunes officiers abîmés par les guerres ignobles dans lesquelles ils furent engagés malgré eux.

Les « Capitaines d’Avril ».

Et puis, ne me blâmez pas si ma mémoire s’avère incapable de préciser une date, le bolchevique entendit, toujours grâce à la même radio, l’étrange et bouleversante chanson.

Une strophe peut-être.

Qu’importe.

L’essentiel se situait ailleurs.

Dans les mots de Zeca Afonso, l’auteur de la chanson qui fut diffusée à minuit par une radio des rives du Tage et qui indiqua aux militaires comploteurs que l’heure de la Révolution venait de sonner aux premiers instants du 25 avril 1974.

La première strophe disait :

« Grândola, vila morena

Terra da fraternidade

O povo é quem mais ordena

Dentro de ti, ó cidade. »

Vous lisez bien.

Là, au beau milieu du fatras des mots incompréhensibles pour moi, j’avais bel et bien entendu « fraternidade ».

Et ce mot-là, ce mot dont des militaires, en dépit de leur état, n’ignoraient pas le sens, ce mot me fut plus qu’un révélateur.

Il m’apporta la conviction qu’à Lisbonne il se déroulait bien autre chose que l’antépénultième coup d’état militaire fomenté, soutenu, piloté par la CIA.

« Fraternidade » !

Un mot brasier.

Un mot dont le choix ne relevait pas du hasard, qui en relevait d’autant moins que Zeca Afonso prit soin de préciser dans cette même strophe que c’est le Peuple qui commande.

Une chanson iconoclaste pour les tenants de l’Estado Novo.

J’ose : une chanson révolutionnaire.

Cette chanson qui, en 2014, accompagne désormais  les manifestants de Lisbonne mais aussi ceux de Madrid.

Les Indignés.

La chanson des « Capitaines d’Avril » !

Jeunes hommes d’alors auxquels je voue aujourd’hui encore un immense respect.

Ils ne voulurent pas du pouvoir.

Ils accomplirent avec humilité leur mission salvatrice: briser les chaînes et rendre au Peuple le seul bien inaliénable qui vaille, la Liberté.

Ils ne firent pas carrière.

Ils laissèrent à leur hiérarchie et aux politiques la responsabilité de se lancer à la conquête du pouvoir.

Ils leur abandonnèrent les leviers de commande d’une machinerie étatique que ces gens-là se disputèrent aussitôt.

J’ignore ce qu’ils sont devenus.

Des hommes tout simplement ?

Moi qui avais voué et voue toujours une haine tenace à l’égard de la soldatesque, j’ai donc exprimé ce qui est un peu plus que de l’affection à l’égard de jeunes officiers qui signifièrent à la clique fasciste qui régna si longtemps sur Lisbonne que son règne s’achevait.

Une démocratie brinquebalante s’installa en lieu et place de la dictature.

Mais ceci est une autre histoire.

Je chante encore dans mon portugais approximatif « Grandola, vila morena ».

 

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