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4 octobre 2019

Exil 17

cueillette-de-la-lavande-carte-postale-ancienne-collection-privée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lundi 22 juillet

 

Une fois encore le plateau ardéchois. Celui de Saint-Remèze. Ses étouffaisons estivales. L’imminence de la caniculaison. Donc l’enclosement dans la demeure qui fut, paraît-il, conçue pour préserver un peu de fraîcheur en été et un peu de chaleur en hiver. Lequel enclosement me prive de l’entêtant parfum du lavandin, lequel se cueille encore ici selon des méthodes ancestrales. Des octo et des nonagénaires, pliées naturellement en deux, le manche de la serpette serré dans la main gauche, la main droite prompte à agripper les tiges florales et à en faire des bouquets qu’elles déposent ensuite dans de grands paniers en osier vieux à m’en pas douter de plusieurs siècles. La vigilance du Maître, le fouet brandi par la main droite, un fouet dont la lanière stridule à un rythme régulier, celui qui scande le chant des cigales (lesquelles moquent de l’aube jusqu’au couchant les recommandations réitérées par la Reine des fourmis assise sur son trône, installé celui-là au pied de l’olivier qui fut planté là par un féal du cacochyme Maréchal, un matin de septembre 1943, après qu’eurent été fusillés par les milichiens deux combattants de l’ombre, deux Résistants, fidèles auditeurs de Pierre Dac, lequel depuis Londres parlait aux si rares Français si peu et si mal résignés à subir l’omnipotence de la soldatesque teutonne autant que nazillarde.

En cette année 2019, la paysannerie franchouillarde, installée depuis des siècles sur le socle de ses traditions, œuvre pour que se perpétuent les abyssales fortunes édifiées de concert par Monsanto et le Crédit Agricole. Ce qui ravit le Monarque, Foutriquet 1°, évanescent serviteur des intérêts des seuls Maîtres qu’il se reconnaisse, les Princes de la Phynance (les Barons de l’industrie ayant, eux, déserté depuis fort longtemps vers des contrées plus accommodantes , celles au sein desquelles est confiné dans les bas-fonds qui a relégué dans les oubliettes de l’Histoire les archaïques utopies égalitaires).

Le Maître. Les vieilles. Les bouquets de lavandin. Transportés jusqu’à la distillerie. Celle qui fonctionnait de la même manière, voilà cinquante ans, la première où il me fur donné de m’y arrêter. Distillés, les lavandins. Transformés en produits utiles aux fabricants de parfums à trois sous le flacon d’eau de Cologne, mais aussi de très onéreuses d’huiles essentiellement essentielles à ceux qui n’en ont pas besoin. Odeur à ce point entêtante que je souffre de céphalées unilatérales que je tente de contenir en abusant de comprimés de paracétamol (uniquement disponible dans les pharmacies militaires) au rythme d’une plaquette de quatre comprimés toutes les quatre heures. Lesquels comprimés en prennent à leur aise et en profitent pour apaiser d’autres douleurs, celles qui résultent de l’éradication chirurgicale de deux carcinomes, certes mineurs, qui conféraient à mon épiderme des apparences pré-mortem , mais des carcinomes tout de même qu’une fort avenante dermatologue avait déclaré indignes du noble vieillard que, paraît-il, je deviens.

La fournaise caniculante. Dont les prévisionnistes annoncent le renforcement durant les derniers jours de la semaine qui s’en vient. Une épreuve que le noble vieillard surmontera en buvant chaque jour ses cinq ou six litres d’eau (qu’il agrémentera d’imperceptibles traces de Casanis, breuvage qu’il ne préfère, bien qu’il séjournât pas en Balagne, au Ricard et autre 51).

« Mourir, la belle affaire, mais vieilli, ô, vieillir… ».

Je réitère ici, dans ce qui n’est pas un testament, mon exigence d’une crémation rapide et sans aucune fioriture. Ma charogne enclose dans de vieux cartons ayant accompagné lors de leurs translations quelques-uns de mes vins préférés. Dont cet « Allegro », un blanc de Faugères, né de la subtile harmonie qui se fait jour dès lors que se mélangent les jus des raisins parvenus à maturité  surtout pourtant ingrat, là où s’élèvent les premiers contreforts du Massif Central (pour qui observe la carte de France cul par-dessus tête, soit donc dans le sens sud/nord). De belles et généreuses grappes que Françoise OT, vigneronne de son état, presse entre ses deux seins, des seins qu’elle a si denses et si charnus. Le jaillissement du jus, son ruissellement, et l’art de le recueillir là où il se concentre, en ce point de jonction où toute vie commence, puis son transfert vers les barriques où il passera, lentement, subtilement, de l’état de jus de fruits à celui du vin dont la fréquentation vespérale me conduit à d’indescriptibles tout autant que fabuleuses extases. (Savourer deux ou trois verres d’Allegro lors d’un dîner, lorsque je convie mes hôtes à déguster quelques noix de coquilles saint-jacques ensommeillées sur leur lit d’une fondue d’endives caramélisées au miel d’acacia et clamer ensuite sa certitude d’avoir enfin atteint au nirvana !)

Le Maître. Les vieilles. Courbées au-dessus des lavandins. Indifférentes aux incessants assauts, anodins des papillons, virulents dès qu’ils proviennent des abeilles. Leur épiderme endurci au long des siècles de ce si dur labeur. Une transmission génétique concevable. De génération en génération. Puisque les vieilles passèrent toutes, du jour au lendemain, d’une enfance qui n’autorisa quasiment rien des joies de l’enfance à cette vieillesse-là. Dès l’âge de dix ou douze ans. Oui, vieilles déjà et cela jusqu’au terme de leur voyage terrestre placé sous le double signe de leur soumission au Dieu du Vatican et au Maître (qui sur ces terres reculées d’un plateau ouvert à tous les vents s’impose comme une sorte d’archange Gabriel, disséminateur en les plus intimes profondeurs du corps des jouvencelles du foutre divin).

Je retourne me dissimuler sous mes somnolaisons.

Alors que grincheux feint de lire une récente édition de l’Huma, le seul quotidien français dont l’agonie aura duré plus d’un demi-siècle.

La distillerie distille.

Les cigales blasphèment.

La terre s’enterre.

Les végétaux végètent.

« Je meurs d’une petite fièvre/ Avec quelques prénoms sur mes lèvres/Et quelques souvenirs heureux…)

(Il m’est de bon ton de trahir le barde ardéchois…)

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