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18 août 2016

Chroniques corses 2016 9

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Samedi 25 juin

 

Un immense catafalque. L’Europe se meurt. L’Europe est morte. Penchés sur son chevet, François, Angela et leurs pairs ânonnent les phrases des prières rituelles pendant que François, l’autre, la vieille canaille vaticancaneuse réquième en la Chapelle Sixtine.

Je fis ce matin l’acquisition en la Maison de la Presse d’Isula Rossa de la Jofrinette, du quotidien qui fut de référence et qui girouette désormais sous la direction d’un triumvirat de gauchistes repentis et de Morse Taquin. (Soit donc un débours de huit euros et soixante-dix centimes, une petite fortune pour un vieillard désargenté et qui de plus se targue de ne prêter qu’un très relatif intérêt à la chose politique.)

La Jofrinette larmoie. La Jofrinette bêtifie. La plume de Lolo peine à transcrire le vide abyssal des résidus de la pensée du néantissime directeur de la rédaction. Du vide jusqu’au néant, quelques chiures respectueuses des Puissants accolées à l’expression d’une foi aveugle en la capacité des Impuissants à ne rien entreprendre qui fût enfin en mesure de tourner le dos à des politiques tout autant criminelles qu’imbéciles.

L’Europe qui se meurt, l’Europe qui est morte n’est évidemment pas celle dont avaient rêvé les trop rares utopistes qui multiplièrent autrefois le recours aux mots sésame destinés à expliciter leur détermination à s’opposer aux forces du mal, des forces peu ou prou dépendantes du Capitalisme mortifère. Au fil des années, la construction européenne est devenue l’affaire exclusive de ceux qui avaient au préalable fait allégeance à ce Capitalisme. Si la situation n’était aujourd’hui à ce point dramatique, je ne contiendrais pas mes rires sardoniques consécutifs à mes furtives rencontres dans les trois quotidiens achetés ce matin. En premier lieu, l’odieux luxembourgeois qui préside aux destinées de la Commission, torche-cul des banquouilleurs, trafiquant notoire mais absout par ses compères. Mais aussi le Toni de sa si disgracieuse majesté britannique, spadassin qui à l’instar du teuton Schröder acheva la vieille machinerie socialiste et lui substitua une autre machinerie, prétendument moderniste, mise au point par les idéologues du néolibéralisme. Mais au-delà des mots dont font usage ces déjà moribonds, ce sont bien ceux qui parsèment les discours de celles et ceux qui gouvernent les plus influents des pays européens qui révèlent les causes de l’achèvement de l’Europe. Tel le Foutriquet de chez moi dont la médiocrité fait affront à l’intelligence et à la grandeur d’âme de quelques socialistes de l’autrefois. Jaurès et Brandt, entre autres. Petitesse, lâcheté, compromis honteux passés avec tous les diables qui peuplent son environnement.  Animé par le seul désir d’exercer le pouvoir. Myope, donc incapable d’entrevoir un avenir qui soit à la hauteur des nécessités du Bien Public. Menteur, hypocrite, ce Sganarelle s’agite sur les tréteaux de la société du spectacle afin de recueillir les applaudissements des crédules, des naïfs, des coglione. Avorton combinard, calculateur éhonté, résidu Enarchiant, il ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Mais il se drape d’une légitimité factice, une majorité de celles et ceux qui lui concédèrent leurs suffrages ayant compris depuis belle lurette qu’ils avaient confié les rênes du pouvoir à un affabulateur doublé d’un faux prophète.

Puis-je, en cette journée caniculaire, me réjouir de l’agonie de l’Europe ? Je fus tenté, je le concède, de multiplier les sarcasmes et de jouer trivialement avec les mots. Mais aux aurores de ce même jour sont parvenues jusqu’à moi des marinasseries que je ne puis feindre de considérer comme anecdotiques. La Fille à son Père se réjouit. Verbe que je récuse. La Fille à son Père clame sa satisfaction avec cette vigueur qui lui est coutumière, sa passion qu’elle entretient, le glaive dans la main droite, pour la nation. Donc me tenir à l’écart. Loin des ordures et des détritus. Très loin des faiseurs de désastres.

Depuis le Village, j’entrevois tout de même une possible sortie de crise. Du moins pour ce qui concerne la Corse. Une sortie paolinienne. L’alliance des deux peuples : le Corse et le Grand Breton. Deux forces conjuguées susceptibles de bouter hors de l’Île les représentants du peuple honni (bien qu’un peu ami), le peuple français. La soldatesque de sa si disgracieuse majesté britannique ne prouva-t-elle pas aux Malouines, en des temps pas si reculés que cela, son exceptionnelle capacité à anéantir ceux que Babeth désigna alors comme étant les ennemis de la Couronne ? Rêverie insensée, bien entendu, puisque Babeth et ses pairs s’entendent comme larrons en foire avec ceux qui se recueillent devant les catafalques tendus en toute hâte, une nuit de juin, entre Paris et Varsovie en passant par Berlin. Il me serait douloureux de chagriner le Vieux Sage, mais j’ai tout de même la certitude que l’anachronique puissance coloniale maintiendra tant qu’elle pourra, de Bastia à Ajaccio, ses gens d’armes, ses héroïques légionnaires loués par la presse collaborationniste, ses CRS surdoués dans le maniement des engins contondants. Alors que le pire est à venir : l’imminent séjour insulaire du Grand Chambellan et de son aréopage de Valets de l’Etat/Mère (un prochain séjour qu’ACC commente aujourd’hui même dans un insignifiant articulet). Un séjour qui bien évidemment contrarie déjà les rêveries d’émancipation que partagent Gilles et Jean-Guy et qui peinent l’un et l’autre à comprendre que l’Intransigeant Impur (mais tout de même Grand Chambellan) réaffirmera le statut colonial de la Corse. Pas la moindre concession à ces autonomistes/nationalistes dont les dérisoires convictions ne pèsent que de peu de poids aux yeux du jacobin endurci. Lequel se fait le Hérault d’une France une et indivisible.

Dans l’immédiat, Gilles et Jean-Guy poursuivent leur quête des picaillons nécessaires à l’équilibre des comptes de la CTC. Un certain Noël Kruslin, Tapissier émérite, leur suggère quelques pistes parmi celles qui sinuent dans les contrées immaculées de la montagne corse. « Ces espaces remarquables que le visiteur paye si peu. » Par saint Antoine, le plumitif met la main sur la poule aux œufs d’or ! Ce Paltoquet suggère innocemment de taxer toujours plus le touriste qualifié par lui-même de « visiteur » (et illustré par un cliché quadricomique qui offre à voir une Vierge extatique vers laquelle s’élancent deux curetons engoupillonnés, le tout sous le regard de quelques ébahis). Une taxation qui remplirait de picaillons les cassettes que gèrent de concert Gilles et Jean-Guy. Prélevée à l’entrée d’un sentier, au pied d’une cascade, devant une ânesse sanctifiée. Sauf que le touriste/visiteur subit, je l’ai déjà précisé, des rançonnements aussi divers que variés pour accéder au droit de séjourner sur l’Île. Passe encore pour les très riches, les qui ont le cul cousu d’or : ceux-là dépensent sans compter les fortunes mal acquises dont ils font étalage dans quelques recoins à eux seuls réservés (et sur lesquels veillent quelques braves et honnêtes autochtones). Mais les autres, tous les autres ? Ceux que je croise tous les jours, qui sont à ma ressemblance ? Ceux qui s’en viennent du Poitou ou du Dauphiné, de Teutonnie ou du pays des Grands Bretons ? Ceux qui comptent sous après sou ? Une traversée. Une location ou un gîte. La benzine. La nourriture. Les quelques bienfaits que ces étrangers s’accordent durant leurs (courtes) vacances. Le verre de Casanis, le demi de Pietra ou les deux boules de glace à la châtaigne. Et donc, pour agrémenter le tout, la taxe pour emprunter un sentier de la Restonica, après avoir abandonné quatre ou cinq euros à un placier mal-aimable pour le stationnement de l’automobile familiale. Il n’est point de limites, selon le Tapissier de service, au rançonnement. Les rues des villes et des villages. Les parvis des églises. Les vitrines des coutelleries. Le regard porté sur la terrasse d’un bar. Le grain de sable qui restera collé à mon vieux cul. Que sais-je d’autre ?

 

 

 

Dimanche 26 juin

 

Belgudé. Café de la Paix. Qui côtoie le Café de France. Paradoxes corses. Paradoxes corses. Ou du moins qui caractérisent quelques corses, ceux qui s’exaltent encore pour la cause nationale, mais qui applaudissent et s’enthousiasment devant les exploits (ou prétendus tels) des danseuses légères richement rétribuées pour courir aux trousses d’un ballon sans doute assemblé au Viet Nam ou au Bengladesh par des gosses de sept ou huit ans auxquels Adidas (ou l’un de ses compères) concède chaque jour l’euro symbolique (plus qu’humanitaire). Je persévère. Café de la Paix contre Café de France. Stefan plutôt que je ne sais quelle serveuse. Le drapeau à tête de Maure plutôt que le drapeau tricolore. Même et surtout si dernier rassemble ders foules exaltées par un autre nationalisme, lesquels refusent de voir le sport qu’ils vénèrent pour autre chose que ce qu’il est : une vaste et démoniaque entreprise d’aliénation.

Quelques verres de Casanis. Chez Eugène. A l’heure où s’annonce le crépuscule. Souvenirs d’un temps forclos. Reflets de celles et de ceux qui furent mais qui ne sont plus, aujourd’hui, que des noms gravés sur des plaques de marbre, des noms et des prénoms, l’année de la naissance et l’année du décès. Reflets auxquels j’ai concouru, auxquels je concours encore. Sauf que le Village de ce mois de juin 2016 ne ressemble plus à ce qu’il fut, que ceux qui l’habitent encore vivent et se comportent comme l’immense majorité de leurs concitoyens, insulaires ou continentaux. Le repli sur soi. L’indifférence. L’enfermement volontaire dans les prisons de la virtualité. Finis les rassemblements vespéraux des joueurs de pétanque. Terminé le passage matutinal du boulanger qui rassemblait, hormis les jours de pluie, si peu nombreux en Corse, quelques causeuses et causeurs. Portes closes. Murmures confondus des téléviseurs. Cette fallacieuse certitude dont se parent ceux qui se croient riches de l’être plus encore, dès qu’auront été vendus à d’autres corses ou, et plus probablement, à des « étrangers » infiniment plus riches qu’eux des biens familiaux hors d’âge au sein desquels s’effaceront très vite les ultimes souvenirs. Les souvenirs de celles et ceux qui ne sont plus que noms et prénoms gravés sur des plaques de marbre.

Je ne crois pas que la Corse ait jamais vécu un quelconque âge d’or. J’ai la quasi certitude qu’elle n’a jamais vécu d’ère de prospérité. Mais depuis que je la fréquente, j’y ai rencontré des hommes et des femmes qui vivaient ensemble, solidaires dès que l’urgence le commandait. Sans doute soumis à l’omnipotence du Maître du Clan, entravés, asservis peut-être. Mais ayant tout de même conscience d’appartenir à une classe sociale, celle des prolétaires paysans qui vendaient leur force de travail à ces Maîtres-là. Le repli, l’enfermement d’aujourd’hui, l’acceptation et la soumission à des valeurs qui conjuguent l’archaïsme et une modernité frelatée laissent entrevoir des lendemains douloureux. A moins que ceux qui remportèrent les récentes élections régionales, ceux qui ont peut-être mis en mouvement un processus de rupture avec les pratiques claniques, à moins que ceux-là n’affrontent et ne tentent de résoudre les vraies questions politiques, celles du droit du Peuple Corse de définir les modalités de son cheminement qui ne se réduira pas à la perception du reflet mortifère qu’offre a voir le miroir tendu par les Puissants et leurs Obligés, celui de « l’industrie touristique ». Lorsque j’observe depuis les hauteurs de Monticellu le développement urbain d’Isula Rossa, je me dis que la tâche est ardue, tant il me paraît évident que les vrais pouvoirs se concentrent dans les mains des bétonneurs. Lesquels ne bâtissent évidemment pas pour les gens d’ici mais pour une poignée d’accapareurs dont les sinistres appartements sont occupés, au mieux, quatre mois l’an. Ceux-là gavent les corses d’illusions. Je ne suis pas certain que Gilles et Jean-Guy soient prêts à fracasser le miroir. Et je m’inquiète de savoir si le Grand Chambellan ne parviendra pas à les convaincre d’y rajouter une couche de tain afin que s’accroissent encore un peu plus les illusions.

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