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Comédies
14 juillet 2015

La fête aux copains!

Jean Ferrat - La fête aux copains

 

Cet inquiétant manque de vigilance du vieillard qui se contente de feuilleter l’annexe de la Bayletterie et qui, de ce fait, passe à côté des informations essentielles.

Telle l’annonce des cérémonies officielles du 14 juillet en la bonne ville de Montpellier.

Lorsque, aux alentours de 8h45, le tram (ligne 2) me déposa place de la Comédie, je compris instantanément dans quelle galère je m’étais fourré.

Une tribune officielle, des barrières métalliques, quelques véhicules de pompiers, une demi-douzaine d’engalonnés et, montant des allées, les premières et martiales musiques à ce point militaires que j’en eczématai illico.

Après ma quotidienne tournée des églises du centre ville, là où je reprends à mon compte les techniques initiées par Jean-Pierre Mocky et grâce auxquelles je récolte les quelques piécettes qui améliorent mon ordinaire, j’effectuai un long séjour dans le bar où j’ai mes habitudes.

Deux petits noirs assortis d’inconséquents bavardages.

Puis une incursion dans les halles.

L’achat de tomates, de haricots verts, de deux oignons (de Lézignan-la-Cèbe), d’un bouquet de basilic, d’un poivron, d’un melon.

C’est au moment où je tendais à Marie un billet de vingt euros censé payer mes acquisitions que se produisit ma seconde eczémataison.

Sans même s’être annoncée, une dassaulterie (je présume), dans un vacarme d’enfer, effleura la toiture des dites halles.

Terrorisé.

Tétanisé.

Au point d’imaginer le pire : Angela et François irrémédiablement fâchés, l’irruption de la Wehrmacht dans la future sous-préfecture du Grolanguedoc.

Des angoisses, des peurs animales que ne je puis contenir, moi qui naquis au mitan de la guerre, la dernière (encore que ?) et qui connus donc, tout vagissant, le fracas des bombes et autres joyeusetés anglo-américaines.

Marie me rassura : comme dans tout opéra, il faut une ouverture, et c’est la dassaulterie qui avait été chargée d’assurer cette ouverture.

Bien que chancelant, j’allumai ma cinquième cigarette matutinale dont la fumée, imprégnant plus mon esprit que mes poumons, me rendit ce peu de conscience qui me permit de commander trois tranches de mortadelle dont le coût modeste fut réglé sur mes recettes ecclésiales.

Je m’aventurai ensuite sur le côté gauche de la rue dite de la Loge (quelle Loge ?), côté le plus ombré d’une rue qui descend en pente douce jusqu’à la place de la Comédie.

Dans une cacophonie de musiques militaires, lesquelles ne m’incitèrent toutefois pas à marcher au pas.

Certes pressé de m’engouffrer dans une rame de tram, mais conscient que mon temps d’attente serait assez long.

Ce qui se vérifia lorsque j’atteignis, dans un état d’eczémataison indescriptible, la station.

Des badauds badaudaient.

La fanfare fanfaronnait.

Un journaliste à la tignasse et aux accessoires poivre et sel journalistait dans un micro, tournant le dos à une joueuse de cymbales, face à un cameraman aux fonctions multiples.

Sur la tribune, une multitude de mouchoirs épongeait des fronts exposés aux rayons d’un soleil virulent.

S’installa un silence provisoire.

Juste le temps pour que quelques silhouettes civiles et militaires s’en viennent saluer les pioupious qui répondirent, toutes armes confondues, aux ordres impératifs aboyés par un adjudant (ordres dont l’énoncé échappe à ma mémoire, rétive à tout ce qui relève de ce domaine-là).

La fanfare recommença à fanfaronner.

Je reconnus alors le Préfet qui pourtant me tournait le dos.

Puis j’identifiai Phiphi, lequel, et pour la circonstance, portait une veste noire tricolorisée par une sous-ventrière.

Brèves salutations.

A n’en pas douter, les autorités, au seuil de l’insolation, n’avaient plus de temps à perdre.

Je m’efforçai alors d’une voix stentorante de réclamer à la fanfare militaire l’interprétation de deux ou trois tangos.

En vain.

Ce que j’estime dommageable, tant il me semble que le spectacle du Préfet enlaçant un engalonné ou Phiphi ouvrant ses bras à un ancien baroudeur (qui du haut de son képi le dominait de deux bonnes têtes), eut été le mieux à même d’illustrer le caractère festif de la Révolution.

Il n’en fut rien.

La République s’enlise dans les plus conventionnels des conformismes.

Elle s’auto-commémore.

Elle ignore le Peuple.

Elle empile de prétendues élites sur des tribunes officielles.

Puis elle tire le rideau.

Les pioupious regagnèrent leurs cantonnements.

Au pas qui ne danse pas.

Le Préfet dînera chez Quick ou chez Mac Do en compagnie de son épouse.

Phiphi soudera peut-être deux ou trois rails de la quatrième ligne du tram avant de s’en venir présenter ses respectueux hommages au Grand Vaticancaneur d’ici.

Il n’ouvrira pas le bal de ce 14 juillet.

Le bal des pompiers.

Pompiers qui laissaient suinter plus que de l’ennui, eux qui avaient été relégués à l’extrême-droite de la tribune dite officielle.

La rame de la ligne 2 s’immobilisa.

La climatisation me concéda ses bienfaits.

Sur un violon plutôt mal accordé, un Rom interprétait les sempiternelles mélodies dont il croit, le malheureux, qu’elles sont représentatives de l’âme française.

Pour la première fois depuis plusieurs mois, j’ai glissé une pièce de deux euros ecclésiaux dans le gobelet qu’il tend devant chaque voyageur.

C’est la fête aux copains, non ?

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