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29 juillet 2013

Chroniques corses 7 (et fin)

JEUDI 27 JUIN

 

L’excitation est à son comble. L’ancien chantre exaltouillé des prétendus exploits de Lance dans le Four de Transes, celui-là même qui officia sur une chaîne de télévision publique, répond benoîtement aux questions que lui posèrent des journalistes de Morse Taquin, gentils garçons tapissouillés point trop curieux. Promis juré, la propreté est désormais de rigueur au sein d’un peloton composé majoritairement d’asthmatiques, d’arthritiques et de furonculeux. Et puis, de quoi se plaindre puisque les marins de la SNCM manifestent une aimable complaisance à l’égard du Grand Cirque vélocyclopédique. Pas de grève inopportune. Le consensus à durée déterminée. La SNCM a obtenu une autorisation de survie dont je ne parviens pas à comprendre si elle émane de ses bailleurs de fonds et (ou) de la puissance publique. Une puissance publique très peu diserte si j’en crois la supplique adressée à François le Débonnaire par Michel Vauzelles, président de la région PACA, par Mémé Guérini, toujours président du Conseil Généreux des Bouches-du-Rhône, et par papy Gaudin, maire de Marseille. Conjointement. Une supplique qui ne peut qu’émouvoir notre Bon Monarque. Lequel Monarque espère en son for intérieur que la Grande Boucle se déroulera sans la moindre anicroche susceptible de ternir son image d’ami et de protecteur des sportifs dits de haut niveau.

(Je ne puis oublier que le Four de Transes fera étape, dans quelques jours, en la bonne ville de Montpellier, cité que j’aurai alors retrouvée à l’insu de mon plein gré. Et où, en tant que contribuable, je verserai mon écot destiné à assurer la réussite de cette grande et merveilleuse aventure humaine dont Morse Taquin brosse chaque jour les portraits de ses plus glorieux protagonistes.)

Je me prépare donc au départ. A contrecoeur, comme toujours. Le Village m’est un havre. Là où quelques mots de mon langage ont acquis du sens, de la chair, de l’épaisseur. Fraternité, solidarité, amitié. Des mots qui se conjuguèrent encore, hier soir, sur la Piazetta, autour d’un apéritif et de quelques gâteries joliment grillées sur un feu de circonstance. Le vivre ensemble. En dépit de ce qui oppose, de ce qui différencie. Antoine savoure le Casa qu’il s’interdit d’ordinaire, selon les prescriptions d’un médicastre qu’inquiétèrent des résultats d’analyse sanguine. Pierre s’en tient au rosé, tout comme Huguette, François, mon gendre et ma fille et

Jean-François, tandis que Marie-Jo abuse des jus de fruits que P’tit Bout ignore, tout accaparé qu’il est par ses cavalcades parmi tous ces gens qui ne pensent qu’à boire et à manger. Les hôtes se rapprochent, engagent d’improbables dialogues. Le Village s’invente un avenir. La Balagne resplendit des derniers feux du soleil. Jusqu’à ce que s’impose l’obscurité, les hirondelles s’affolent dans l’incessant ballet que nous, humains, sommes dans l’incapacité de comprendre. Les continentaux présents trouvent leur place au sein d’une société que d’aucuns prétendent figée et archaïque, mais qui fait preuve d’une formidable et salvatrice énergie.

Je me contrains à ne plus penser à mon absence afin de ne pas embuer mon regard.

 

 

 

VENDREDI 28 JUIN

 

La veille.

La veille du départ.

Un départ qui me révulse.

Mais un départ contraint : ma Douce n’est toujours pas en mesure de faire valoir ses droits à la retraite. Voilà ce qu’il m’en coûte d’avoir épousé une Jeunesse. Alors que P’tit Bout a conquis le Village, qu’il en a fait son théâtre de jeux, de la place de l’Eglise jusqu’à la fontaine, parmi les ruelles qu’il gravit et descend avec l’assurance d’un vieux montagnard.

Dernière feuilletaison de Morse Taquin (avant le prochain séjour). Toujours la SNCM qui, au cours des mois à venir, aura « trois cols de montagne à franchir ». Soit donc d’insurmontables difficultés pour tenter de remettre à flot une société que Veolia entend gérer selon des critères étrangers à ceux qui prévalent dans le service public. Je partage peu ou prou le pessimisme qu’expriment les marins adhérents du syndicat STC (Sindicatu di i Travagliadori Corsi) : « Rien ni personne n’empêchera les vrais patrons (Veolia, ndrl) de la SNCM de disposer de nous, pour mieux nous larguer quand ils l’auront décidé. » Quant à la seule et vraie solution, elle relève de cette revendication qu’ils expriment de manière on ne peut plus claire : « … nous précisons que seul un plan de financement pourra s’obtenir par le soutien et la création d’une SEM dédiée à l’activité de la continuité territoriale. » C’est-à-dire dans le refus de la soumission au diktat des tenants des lois aussi impitoyables que mortifères d’un certain Marché, celui du Grand Désordre Capitaliste.

Je quitte l’Île le jour même du départ du Four de Transes. Me sont odieux les visqueux sourires du directeur de cette épreuve prétendument sportive, sourires qui depuis plusieurs jours s’accumulent parmi les pages déjà si fades de Morse Taquin.

Je quitte l’Île, cette Île qui m’éblouit, qui m’émerveille lors de chacun de mes séjours. Par son exceptionnelle beauté. Mais une beauté que je ne puis apprécier qu’à travers les femmes et les hommes qui l’habitent, qui y vivent, qui y oeuvrent. Non seulement celles et ceux qui me sont proches et dont les prénoms furent évoqués dans mes chroniques. Mais aussi tous les autres, ceux et celles que je lis, que j’écoute, que je croise, célèbres ou anonymes, qui créent, chacun à leur échelle les conditions de la survie d’une société si peu ressemblante aux caricatures qui prévalent de l’autre côté de la Méditerranée, là où il est plus commode d’ignorer le monde réel afin de perpétuer par la contrainte, le chantage, la violence des structures post-coloniales indignes de la République.

 

Pace è Salute !

 

 

 

 

En guise d’au revoir, je greffe un poème qui, dans l’une et l’autre des deux langues, exprime l’attachement à cette terre….

 

 

« Isula dea

zitta è zergosa

Ragiu di tempu in tempurale

Orma turchina

in u pozzu di lume »

 

« Île déesse

Silencieuse et provocante

zébrure du temps dans la tempête

Empreinte bleue

dans le puits de lumière. »

 

A découvrir dans :

« Tempi di rena »

« Dans le duvet de la cendre »

Patrizia GATTACECCA

(Editions Albania)

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