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12 avril 2013

Rigueur

Mon François !

 

Ta Majesté !

 

Qui sait ? Peut-être liras-tu la brève évocation de ce qu’il m’est advenu d’observer pas plus tard qu’hier (jeudi 11 avril), à l’heure où j’effectuais quelques emplettes chez l’un de ces grands distributeurs qui n’ont de cesse que d’assurer notre bonheur.

(Un très grand distributeur qui, derrière l’enseigne « Simply », n’est rien d’autre que la célébrissime maison « Auchan », tu sais, celle de la famille Mulliez, ces honnêtes épiciers français qui ont émigré Outre Quiévrain afin d’apporter aide et assistance au peuple belge….)

Nanti de deux packs d’eau (celle qui, à Montpellier, coule du robinet est trop calcaire à mon goût), je me suis présenté à l’une des caisses. Devant moi, sur le tapis roulant, une vieille dame, une très vieille dame avait déposé les cinq ou six choses dont elle souhaitait faire l’acquisition. De pauvres, d’insignifiantes choses, de celles que les Grands Distributeurs destinent aux plus pauvres. Sauf que dans ce fatras, elle avait placé un pot de confiture. Oui, un pot de confiture aux myrtilles. Tu te rends compte, mon Président, ta Majesté, une pauvresse qui s’arroge le droit d’acheter un pot de confiture aux myrtilles ? Insensé non ? La caissière a commencé à enregistrer les achats de la très vieille dame. Laquelle s’est alors penchée vers l’employée de la famille Mulliez et lui a murmuré deux ou trois mots. Avec tant de pudeur, tant de retenue, car les pauvres ont leur dignité, mon François, ta Majesté. Des mots, j’étais trop proche de cette dame-là pour ne pas les entendre, des mots d’une terrifiante banalité qui disaient: « Je n’ai que six euros ». Des mots prononcés porte-monnaie ouvert, béant devant le regard de la caissière. Six euros et quelques poussières de centimes. Un, deux, trois, quatre produits. La caissière s’est arrêtée puis s’est tournée vers la vielle dame. « Cinq euros, madame ». Cinq euros et quelques poussières. Donc plus très loin des six euros et quelques même pas enfouis dans le porte-monnaie de la très vieille dame. La très vieille dame qui a désigné une bouteille de vinaigre blanc. « Et avec ça ? » La caissière a passé la bouteille devant la machinerie qui lit les codes Raymond. « Six euros et des broutilles ». Mais déjà plus que les six euros et quelques poussières présents dans le porte-monnaie de la très vieille dame. Laquelle a fait signe que non, elle ne ferait pas l’acquisition de la bouteille de vinaigre blanc. Avant de payer rubis sur l’ongle ses pauvres achats de pauvresse. Le reste, ce qu’elle avait désiré afin d’améliorer son pauvre ordinaire fut récupéré par la caissière qui le dissimula je ne sais où. Et là-dedans, un pot de confiture de myrtilles. De la confiture Bonne Maman, laquelle ne coûte guère plus que deux ou trois euros le pot. Mais qui est interdite à une très vieille dame, pauvresse parmi les plus pauvres. Et cependant si intègre, même pas transgressive dans ce monde où les puissants et les nantis s’accordent, eux, l’effarant privilège de s’empiffrer sans vergogne.

Non, mon François, ta Majesté, il n’est nullement dans mes intentions de faire pleurer dans les chaumières. Par le truchement de cette anecdote, je m’évertue à te faire comprendre que le débat sur l’austérité qui n’est pas la rigueur, ou sur la rigueur qui n’est pas l’austérité, ce débat-là n’est qu’une foutaise, un truc en trompe l’œil destiné à gruger les gogos.

Ton Peuple souffre, mon François, ta Majesté. Le Peuple de tout en bas. Celui qui ne dispose même pas du peu qui permet de survivre.

Et cela n’est pas affaire de statistiques, mais de réalités observables.

Il te suffirait de sortir de ton Palais, mon François, ta Majesté, de marcher dans les rues, d’entrer dans un quelconque « Simply », de fréquenter n’importe quel marché populaire, et tu verrais.

Tu verrais la vraie pauvreté si souvent proche de l’indigence.

Tu verrais des jeunes gens et des jeunes filles mendier.

Tu verrais des mères de famille explorer les tréfonds des poubelles.

Alors se produirait peut-être le miracle : tu ne parlerais plus comme le font tous les technocrates formatés par l’appareil d’état et soumis aux exigences du Grand Désordre Capitaliste.

Tu parlerais peut-être et simplement comme un homme.

Un homme, ça parle avec son cœur.

Un homme, ça s’indigne.

Un homme, ça n’amalgame pas les français comme tu le fais dans tes si ennuyeux discours.

Un homme, ça vibre.

Un homme, ça s’émeut.

Un homme, ça pleure.

Derrière tes murailles, tu n’entends pas, mon François, ta Majesté, la colère qui gronde, qui enfle, qui se répand.

Tu ne vois pas que le Peuple est à bout.

Une Révolution, dit-on, fut provoquée pour l’affaire de quelques brioches.

Je me prends à rêver qu’une autre Révolution soit provoquée, elle, pour l’affaire d’un banal pot de confiture de myrtilles.

 

A Voce Rivolta !

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