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Comédies
18 octobre 2011

17 OCTOBRE 1961

J'avais dix-neuf ans.
J'étais alors en sursis.
J'entends par là que mon statut d'étudiant me prémunissait contre l'obligation d'effectuer un long voyage, un trop long et périlleux voyage.
Mais j'avais par deux fois suivi les obsèques de deux garçons de mon âge qui, eux, avaient été contraints au voyage de l'autre côté de la Méditerranée.
Morts dans des circonstances sur lesquelles les "autorités" militaires ne fournissaient aucun indication.
J'ai depuis lors rencontré et fréquenté quelques-uns de ceux qui s'en revinrent de là-bas autrement que morts.
Des hommes apparemment vivants.
Mais des hommes brisés.
Des hommes quasiment muets sur ce dont ils furent témoins ou acteurs.
La guerre, sous quelque forme qu'elle fut menée, renvoie toujours à la barbarie.
J'ai eu la chance de ne pas devenir un barbare.
(Car j'ignore toujours, cinquante ans plus tard, si j'aurais eu le courage de déserter et de "mendier ma vie sur les routes de France"...).
J'ai eu depuis lors cette chance de ne pas me confronter, dans chaque miroir que j'ai croisé, au regard d'un barbare, celui que les circonstances d'alors auraient fait de moi.
Mais je crois comprendre le pourquoi de l'infinie souffrance de ceux qui furent associés aux corvées de bois, à l'usage de la gégène ou aux ratissages.
L'homme n'est nullement prédestiné à devenir un barbare.
Il ne le devient que si l'Etat et ses dirigeants l'y obligent.
Et cette guerre longue de plus de sept ans fut conduite par une soldatesque ignoble, celle des vaincus de Dien Bien Phu, les Massu, Bigeard, Salan, généraux et colonels comploteurs, tortionnaires et tueurs.
Les vrais barbares.
Les ennemis de la République.
Agréés pour les premiers moments de cette sinistre aventure par la socialiste Guy Mollet.
Je n'ignore pas ce que furent les exactions commises par ceux du camp d'en face. Mais ceux-là luttaient pour leur liberté, pour l'indépendance de ce pays qui fut soumis par les armes puis colinisé.
L'Algérie.
Je ne justifie pas. Mais je penserai jusqu'au terme de mon existence qu'il fut légitime que l'Algérie accédât à l'indépendance et que le peuple algérien privé de toutes les libertés, de tous les droits constitutionnels alors même qu'il vivait dans trois départements de la république française n'eût d'autre recours que l'usage de la violence pour atteindre à ses fins.
Aujourd'hui, je n'ignore que ce qui reste dissimulé à mon regard.
En cet automne 1961, au lendemain du 17 octobre, je savais.
Au cours des jours qui suivirent la tragédie, j'ai su le peu que la presse d'alors laissa filtrer.
Non point la télévision que je ne regardais pas.
Mais la radio: j'étais un auditeur plutôt fidèle d'Europe 1.
J'ai donc appris la tenue de la manifestation organisée à Paris par le FLN, j'ai été informé sur la violence de la répression.
J'ai entendu les Debré, Frey et Papon répandre leurs discours lénifiants.
Mais je lisais également l'Huma.
Je fus donc informé sur l'abominable réalité de cette répression, sur les moyens mis en oeuvre pour étouffer la voix de celles et ceux qui réclamaient l'indépendance et la liberté.
Sans toutefois connaître l'atrocité du bilan comptable.
A moins que ma mémoire ne défaille.
Sauf que se diffusèrent des tracts dans les jours qui suivirent le 17 octobre.
Des papiers qui relayèrent les témoignages de ceux qui assistèrent aux événements, amis du FLN ou non.
Dont, me semble-t-il, celui de François Maspero.
Tant de morts.
Mais combien de morts?
De quelques dizaines à quelques centaines.
Infiniment plus que les deux cadavres dénombrés par le Préfet de Police.
Papon.
Un massacre.
Un massacre délibéré.
La soudaine explosion d'un racisme qu'alimentaient alors des responsables de l'appareil d'état.
Faut-il rappeler les conditions dans lesquelles survivaient celles et ceux qui, à l'époque, étaient pourtant des citoyens français de plein droit?
Les bidonvilles.
Les taudis.
La misère.
Avec tous leurs corollaires.
Libertés restreintes.
Fichages.
Les assassinats perpétrés bien avant le 17 octobre.
Les chiens de garde agissaient en toute impunité.
Ils bafouaient les lois sans que la justice ne leur réclamât de comptes.
17 octobre 1961.
La nuit du traquenard.
La Seine emportait les cadavres tandis que dans des autobus réquisitionnés, propriété de la RATP, s'entassaient ceux qui seraient ensuite, blessés ou non, confinés à Vincennes ou Porte de Versailles.
17 octobre 1961.
J'ai su très viteque je ne pourrais jamais me reconnaître dans cette France-là.
La France des De Gaulle, Debré, Frey et autre Papon, celle de la caste des militaires-tortionnaires, celle des flics-assassins.
La France des tueries perpétrées dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Haïphong.
Sétif.
Madagascar.
La barbarie franchouillarde.
Celle-là même qui le 17 octobre 1961 donna libre cours à son infinie cruauté dans les rues de Paris.
Ville Lumière alors rendue aux Ténèbres.
J'avais dix-neuf ans.
Je n'ai pas oublié.
 
NB/ Je suggère pour celles et ceux qui voudraient en savoir un peu (ou beaucoup) plus sur ces évènements la lecture du livre de Jean-Luc EINAUDI "La bataille de Paris" (Points Seuil/Histoire H387).
Côté cinéma, deux sorties cette semaine:
1) le fim que Jacques PANIGEL tourna au cours des semaines qui suivirent la tuerie, "Octobre à Paris", film longtemps interdit;
2) "Ici on noie les algériens - 17 octobre 1961" de Yasmina ADI, un film qui s'essaie, si j'ai bien compris, à faire revivre les mémoires.
 
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