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Comédies
9 avril 2010

Lidl

(Suite du feuilleton......)

Jeudi 8 avril.

Le ciel.

Bien évidemment le ciel.

Tout encombré de nuages.

Des nuages qui crachinent des sortes de paimpolaisons.

Les falaises en moins, bien entendu.

On n'est pas très falaise à Palavas.

On est également déduné.

On n'est donc plus grand'chose.

On n'a même plus d'avenir.

Si j'en crois les zoracles.

Je petinoire à la terrasse du Petit Mousse.

Comme pour me créer l'illusion de l'imminence de l'été.

Seul.

Avec le Libre Midi.

Qui rend à peine moins tolérable ma solitude.

Le Libre Midi que j'effleure de ma presbytie subalterne.

Tout à coup, un vol chaotique.

Le battement de deux ailes.

Edouard s'en revient.

Edouard se pose.

Sur le siège qui me fait face.

Un sac Lidl.

Pendu à son cou.

Un sac fourre-tout dont le volatile se défait et qu'il laisse choir sur le sol.

"Monsieur André! Quelle chance de vous trouver ici."

Je souris.

La vieille canaille est bien informée de mes us et coutumes.

"Si je vous disais que je suis au bout du rouleau?"

Je souris. Une seconde fois.

"Dites-le moi, cher Edouard!"

Le goéland claque du bec.

"Je suis au bout du rouleau."

Ce que la réalité ne dément pas: le goéland a pris les apparences d'un crapaud: il s'est encloqué de partout.

Sauf de la patte gauche enserrée dans un bas résille.

"Je ne suis pas beau à voir, non?"

Non, pas beau du tout, et même pire encore: le rimmel qui a dégouliné jusque sur les plumes fripées du jabot, le rouge à bec qui a laissé des traces suspectes jusqu'à la périphérie du cloaque.

En résumé: le pitoyable spectacle du vieux travelo au terme d'une nuit de bamboche.

Sauf que ce vieux travelo-là est sensé, dans quelques semaines, assumer non seulement la pitance mais aussi l'éducation civique et morale des deux ou trois rejetons que Germaine a déjà encoquillé dans sa matrice.

Germaine qui, cette nuit encore, tralalaloutait en compagnie de Raymond.

Un sacré luron, le Raymond.

Fourbe sans aucun doute, mais pas regardant sur la chose, voire même généreux.

Exhibitionniste en plus: le petit Mathieu, un jeune mâle ambitieux né d'une précédente couvée, ne perdit pas une miette de l'affriolant spectacle.

Perché sur un  lampadaire.

A regarder Raymond et Germaine qui tralalaloutaient sur le toit de la Traction de monsieur Christian.

Dès le printemps 2011, il saura s'y prendre, le petit Mathieu. Qui, pour l'heure, sacrifie à certain culte que je n'aurai pas l'indécence de mentionner ici.

"Vous m'offrez un pastis, Monsieur André?"

Un pastis à 10 heures du matin. La détresse du malheureux goéland dépasse l'entendement. Mais va pour le pastis.

"Karim? Un casa. Un double!"

Les paimpolaisons se font discrètes.

Edouard avale deux grandes becquées de pastis.

Un frisson, les tressaillements d'une carcasse recrue de fatigue.

"Rentrez chez vous et couchez-vous...."

Edouard n'opine pas.

Il s'enfile deux autres becquées de casa.

"Faites profil bas, Edouard. Très bas. Pas de récriminations, surtout. Certes, vous ne serez pas le père de vos enfants....."

Un flot de larmes et trois becquées successives.

".... Mais Germaine ne pouvait plus attendre..... Les lois de la nature, Edouard..... Des lois qui n'ont rien à voir avec la gaudriole...."

Les larmes redoublent.

Une épave, ce malheureux goéland dont la conscience s'éveille et qui comprend enfin qu'il ne sera plus jamais ce qu'il fut....

"Regagnez le nid.... A défaut d'implorer le pardon, mettez votre fugue sur le compte du dysfonctionnement de votre glande...."

Le goéland s'ébroue......

Quatre ou cinq battements d'ailes.....

(Essentiellement la droite; la gauche est comme atrophiée.)

"Merci, Monsieur André...."

Un essor chaotique....

L'oiseau s'envole.......

Brel avait bien raison lorsqu'il chantait: "La vie ne fait pas de cadeaux....."

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