Toc toc toc
(Ceci est la suite d'un feuilleton sur la vie des goélands, nobles volatiles qui constituent la population originelle d'une cité balnéaire: Palavas-les-Flots. Les précédents épisodes sont à quérir plus en avant sur ce blog.)
Toc toc toc Quiquigna? Qui qui frappe à ma fenêtre? Ah, c'est vous, Germaine. Germaine, comme de bien entendu. Rutilante en ses atours de printemps. Mais l'oeil torve. Trois larmes déjà qui dérimellisent le
regard. "Germaine?" Deux claquements du bec. Une plainte jaboteuse. "Il ne peut plus....." Mon regard interroge aussitôt l'oiselle
bredouillante... "Oui .... Edouard..... Edouard ne peut plus... Plus
du tout... Vous imaginez? Alors que je les sens se former en moi... Mes
oeufs.... Fécondables..... C'est une affaire de jours, monsieur André... Oui, de
jours!" Le cri! Le cri de la goélande qui m'a plusieurs fois narré
l'imminence de sa ménopause, qui sait qu'elle ne connaîtra plus qu'une ou deux
autres opportunités de réussir une belle couvaison. "Germaine? Que lui advient-il à votre Edouard?
Avant hier, jour de l'Annonciation, n'est-ce pas lui qui transportait en son bec
une branche de tamaris?" Germaine opine. "Il transportait, monsieur André. Il transportait.
Pour sauver les apparences. Mais il ne lui reste que cela à mon pauvre Edouard:
des apparences. Qui ne me feront pas une belle couvaison....." Un flot de larmes. Des sanglots si longs que les
violons de l'automne se substituent aux cornemuses du printemps. "Le héron, monsieur André. Le long bec pointu du
héron de la héronne lui a transpercé les choses...." C'est vrai. J'avais remarqué l'état déplorable des
dites choses au retour de l'intrépide voyageur, lorsque j'avais accompli
quelques uns des soins de premier secours. Des choses que j'avais
mercurochromées. Mais qui, malgré toute ma diligence, se sont infectées.
"A-t-il pris rendez-vous chez le vétérinaire, votre
Edouard?" Les sanglots redoublent. "Mais c'est que le temps presse, monsieur André! Je
ne peux attendre la Pentecôte ni même l'Ascension..... Mes oeufs, je les sens,
là, en moi, tellement fécondables...." J'imagine. Les oeufs prêts à s'encoquiller, l'ovule
frémissant déjà dans l'attente de l'assaut perpétré par la multitude des
spermatozoïdes... "Germaine, vous n'êtes pas sans avoir remarqué tous
ces jeunes gens, si bien sur eux, qui depuis plusieurs jours rôdent autour de
votre nid?" Le flot des larmes est intarissable. L'indignation les accompagne. "Moi, monsieur André, tromper mon Edouard? Je ne
suis point celle que votre propos laisse imaginer. Je suis fidèle, moi. Vous
l'avez vu mon nid? Tout ce que mon Edouard a entassé pour m'assurer un maximum
de confort. Les amoncellements de nicolineries. Et les jolies images de monsieur
Christian. Des images en couleurs. Collées contre le béton de la cheminée à
l'aide de quelques fientes....." J'imagine. Un transfuge de l'UMP rendu au gaullisme
préhistorique. Dont le regard de bon père de famille observe la parturiente
virtuelle. "Ce que je vous en dis, madame Germaine...... C'est
pour votre bien.... " Je griffonne sur la marge de la une de Libé les
coordonnées d'une de mes vielles connaissances. Georges. Un cormoran obèse, mais
qui depuis 40 ans offre son sperme à la banque du même nom. "Au cas où, Germaine.... En ultime
recours..." J'insinue le bout de papier sous l'aile droite de
mon accorte voisine. "Sait-on jamais? Un miracle? Les grenouilles
grouillent dans les bénitiers, Germaine. Lorsque vous en aurez croqué
deux ou trois, de ces grenouilles, peut-être que l'eau bénite....." Un timide sourire. Un hochement de la tête. Comme pour me signifier qu'on ne croit guère en mes
fadaises. Mais que tout de même.... L'oiselle frétille du croupion. Demain sera un autre jour.